Dans un article publié par un journal de la place, Monsieur Abdoul Aziz Tall, ancien ministre et expert en management, appelait l’attention des Sénégalais sur les risques que font courir sur la sécurité et la cohésion nationale, certains propos et attitudes de la part surtout de personnes publiques et des médias en raison de leur statut social. Il a rappelé avec pertinence les traits caractériels particuliers de la société sénégalaise qui font d’elle, un exemple réussi d’unité et de concorde nationales forgées à travers des décennies, voire des siècles, par nos illustres devanciers, guides religieux et personnages politiques. Malheu­reusement, la jeune génération est en passe de remettre en cause cet acquis. «On joue avec le feu», a-t-il martelé dans un ton grave, en évoquant des références dans notre histoire dont la pertinence n’a d’égale que sa grande sagesse intellectuelle. Contrairement aux potentiels «pyromanes sociaux» qu’il apostrophe, le ministre Tall est de ceux que Dieu, Allah (SWT), a décrits dans la sourate Fatir (n°35) verset 28 : «Parmi Ses serviteurs, seuls les savants craignent Allah», ceux-là mêmes qui ont fini d’intégrer dans leur vécu, les propos du Prophète Mouhammad (SAWS) selon l’imam Ahmad (Rta) : «Que la crainte des gens ne vous empêche pas de dire la vérité lorsque vous la voyez, en êtes témoins ou l’entendez.»
A l’exemple de son vénéré homonyme surnommé «Dabakh» (Rta), il alerte sur les conséquences pouvant découler des propos ethnicistes et belliqueux relayés sans discernement par les médias et partagés dans les réseaux sociaux. Il a ensuite invité les uns et les autres à une prise de conscience du danger qu’ils constituent et, en sa qualité de conseiller en management et sur la base de son expérience étatique, d’indiquer les voies et moyens de préserver la stabilité sociale et le renforcement de l’Etat de droit.
Oui Monsieur le ministre, on joue avec le feu en jouant avec le moral des troupes. Comment en effet, ne pas s’inquiéter des dérives verbales qui n’épargnent même pas nos sacro-saintes Forces de défense et de sécurité ? Grande fut mon émotion mêlée à la colère, en lisant des commentaires malveillants sur des événements qui relèvent de leur fonctionnement et de l’exercice des pouvoirs constitutionnels du chef suprême des Forces armées. Journalistes ou prétendus tels, hommes politiques, acteurs de la Société civile et analystes politiques ou prétendus tels, vous ne pouvez pas faire l’apologie des «actes d’indiscipline notoire» qui portent atteinte à l’image de neutralité (politique et religieuse) des Forces de défense et de sécurité, ni épiloguer sur leur fonctionnement interne, notamment sur les actes d’administration du personnel militaire et paramilitaire (mesures disciplinaires, recrutement, etc.). De grâce, adressez-vous à leurs bureaux des relations publiques pour obtenir des éléments «de premières mains» pour plus de justesse dans vos libres commentaires.
On est en droit de se demander quel est l’intérêt d’une polémique sur le caractère militaire du palais de la République et récemment celui de l’avion de Commandement du président de la République ? Cette seule appellation est indicative de son statut. Une simple consultation de l’organigramme de la présidence de la République permet de savoir que «l’escadrille présidentielle» avec des équipages entièrement militaires, fait partie du cabinet militaire de la présidence de la République avec le Chef d’Etat-major particulier du président de la République (Cempart), le gouverneur militaire des palais etc. On est dans la même situation en France, aux Etats-Unis notamment. En effet, l’achat d’aéronef présidentiel relève de la Direction générale de l’armement (Dga) du ministère français des Armées. Aux Etats-Unis d’Amérique, le seul nom de l’avion présidentiel est évocateur de son caractère militaire : «Air Force One» signifiant «Numéro un de l’Armée de l’Air».
La discipline est reconnue comme étant la «force principale des armées». Il n’y a aucune stabilité dans un pays où l’indiscipline règne au sein des Forces défense et de sécurité. L’exception sénégalaise de stabilité institutionnelle s’explique surtout par la jalouse conservation du legs de nos valeureux anciens à propos desquels, Faidherbe disait à Pinet Laprade : «Ces gens-là, on les tue, on ne les déshonore pas», formule adoptée comme devise de nos Forces armées.
Oui Monsieur le ministre, on joue avec le feu en jouant sur la corde sensible religieuse des Sénégalais. On ne s’était pas encore remis des émotions provoquées par les déclarations d’un avocat relatives à une altercation survenue à l’audience d’un Tribunal entre lui et le procureur de la République, que des manifestations sont organisées à Dakar et dans quelques localités du pays, soit contre la légalisation de l’homosexualité soit pour sa criminalisation. La polémique s’est tellement amplifiée que le gouvernement à travers son porte-parole, est monté au créneau pour réaffirmer la position clairement exprimée par le président de la République devant son homologue américain et le Premier ministre canadien. Au-delà de ces déclarations, il faut souligner clairement que le droit Sénégalais écarte totalement toute possibilité de légalisation de l’homosexualité :
D’abord la Constitution à son article 7 proclamant «Des droits et libertés fondamentaux et devoirs des citoyens», qui dispose : «Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Les hommes et les femmes sont égaux en droit.» Dans son article 17 intitulé «Du mariage et la famille», la Constitution proclame : «Le mariage et la famille constituent la base naturelle et morale de la communauté humaine. Ils sont placés sous la protection de l’Etat.» Ceci est une profession de foi, l’expression de notre conception (morale) de la «communauté humaine». L’homo senegalensis se détermine par son appartenance à une famille et à une communauté avec ses valeurs dont le mariage constitue le soubassement.
Ensuite le Code de la famille : l’article 101 donne une définition claire des fiançailles qui constituent «une convention solennelle par laquelle un homme et une femme se promettent mutuellement le mariage». L’article 111 ajoute : «Le mariage ne peut être contracté qu’entre un homme âgé de plus de 18 ans et une femme âgée de plus de 16 ans sauf dispense d’âge accordée pour motif grave par le président du Tribunal régional après enquête.»
Enfin, le Code pénal, dans son article 319 alinéa 3, réprime non seulement l’homosexualité mais également, les actes attentatoires à la pudeur (Kersa) : «…sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs, quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. Si l’acte a été commis avec un mineur de 21 ans, le maximum de la peine sera toujours prononcé (sic)».
Devant des textes aussi clairs, aucun débat ne devait subsister sur l’idée de légalisation de l’homosexualité. Quant à sa criminalisation, elle est malvenue au moment où il est question de mettre en œuvre des mécanismes pour diminuer le surpeuplement des prisons et les longues détentions. En effet, les «actes contre-nature» sont des délits qui peuvent être jugés rapidement notamment en procédure de flagrant délit, alors que les criminaliser reviendrait à faire passer obligatoirement les dossiers au juge d’instruction pour enquête approfondie (sur des faits flagrants) avec placement du prévenu sous mandat de dépôt. En définitive, un jugement qui aurait pu se tenir dans la même semaine de l’arrestation du présumé auteur, parce qu’étant un délit, ne se tiendra qu’à l’issue d’une instruction dont on ne saurait prédire la durée.
Oui, Monsieur le ministre, on joue avec le feu en versant dans la désinformation des populations. On sait tout le mal que charrient les réseaux sociaux à propos desquels, les autorités étatiques ont décidé de renforcer les mesures pour éradiquer cette dangereuse tendance au-delà de la lutte contre la cybercriminalité. Certaines déclarations et attitudes sont d’autant plus dangereuses que leurs auteurs sont des leaders politiques, journalistes célèbres, acteurs de la Société civile ou personnalités du monde universitaire qu’on peut, à juste titre, classer «circonstance aggravante liée à la qualité de l’auteur» pour emprunter une formule de droit pénal. C’est le cas de ce professeur… de sociologie qui nie le caractère militaire de l’avion de commandement ou de ce célèbre écrivant qui s’aventure sur le si complexe sentier du droit, en critiquant un acte de procédure pénale.
Il y a également les déclarations d’un leader politique soutenant que la loi sur les actes de terrorisme découle de l’influence de l’ex-Président Français Nikolas Sarkozy et de l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair sur le chef de l’Etat, lors de leurs récentes visites au Sénégal. Cette affirmation est totalement contraire à la réalité, dès lors que l’avant-projet de loi de modification du Code pénal et du Code de procédure pénale pour intégrer les infractions terroristes ayant abouti au vote de la loi 2007-01 du 12 février 2007, était l’œuvre d’une commission technique de juristes (Magistrats, avocats, professeurs d’université et officiers de police judiciaire) mise en place par les autorités étatiques d’alors à laquelle j’ai eu personnellement, l’avantage à en faire partie sous la direction du Magistrat Doudou Ndir,
Pas loin du cas de la désinformation, l’avis un ténor du barreau Sénégalais qui, après une explication technique quasi-inattaquable du texte des nouvelles modifications à l’exception du décompte des «catégories d’infractions», a quelque peu «dérapé» dans ses conclusions. La quarantaine de «catégories d’infractions» qu’il a relevées dans la loi, est en fait le nombre d’actes qualifiés de terrorisme, très loin de la soixantaine du code pénal français (Article 421-1 et suivants). Un élément essentiel dans la constitution de l’acte de terrorisme comme pour toute infraction a manqué dans ses explications : l’intention de l’auteur. Il est en effet important de souligner qu’une infraction n’existe que si trois éléments sont réunis : d’abord un élément légal qui est le texte de loi qui la définit. Ensuite un élément matériel, qui est le fait décrit par le texte généralement en ces termes : «Constitue l’infraction X, le fait par toute personne de…» Enfin un élément moral ou intentionnel qui fait référence au dessein de l’auteur à travers son acte, son but ou finalité recherchée.
Comme le dit un célèbre hadith du Prophète Mouhammad (Psl), «les actes ne valent que par les intentions», ce sont elles qui sont déterminantes dans la qualification finale de toute infraction y compris les actes qualifiés de terroristes. Dès lors, seuls les malintentionnés doivent craindre cette loi.
A mon avis, le vrai débat n’est pas dans ces incriminations qui sont aux standards internationaux quoi qu’on en dise, mais sur les pouvoirs renforcés du procureur et ses enquêteurs pendant la phase d’enquête. Des juristes l’ont bien souligné lors d’une réunion d’étude. La question est mondiale, pas seulement sénégalaise : le respect de droits de l’Homme pendant cette phase. C’est là où on attend les organisations de la Société civile en lieu et place de leurs déclarations et communiqués contre la loi sans une véritable analyse de ses dispositions. En ayant oublié que la loi pénale contre le terrorisme existe depuis 2007, qu’une première modification est intervenue en 2017 (Loi 2016-29 du 8 Novembre 2016) et que c’est seulement avec la présente modification qu’elles se signalent, elles sont de ce fait, également en «circonstance aggravante» dans la désinformation.
Dieu sauve le Sénégal !
Colonel de Gendarmerie à la retraite
Sankoun FATY
Acteur de la société civile de Sédhiou