M. Xiao Han décortique la coopération agricole entre la République populaire de Chine et le Sénégal. Dans cet entretien, le nouvel ambassadeur de l’Empire du milieu au pays de la Téranga a non seulement présenté les relations sino-sénégalaises sur l’infrastructure et la technologie agricole, l’engagement de son pays à encourager plus d’entreprises chinoises à investir et à s’implanter au Sénégal, mais il a également abordé le partenariat que souhaite approfondir la Chine avec le Sénégal dans le domaine du commerce de l’arachide. Cela, malgré quelques couacs souvent notés dans les campagnes de commercialisation de l’arachide.

En décembre 2020, la Chine a officiellement remis le projet de réhabilitation du barrage d’Affiniam au gouvernement du Sénégal. Quel rôle joue-t-il dans cette partie sud du pays ?
C’est pour moi un grand plaisir d’avoir pris part, avec le ministre Moussa Baldé, à la cérémonie de remise officielle du projet de réhabilitation du barrage d’Affiniam qui s’est déroulée dans les locaux du ministère de l’Agriculture et de l’équipement rural. En réalité, j’avais souhaité que cette cérémonie se déroule sur le site du projet, mais malheureusement cela n’a pas été possible à cause de la pandémie du Covid-19. En tout cas, la Chine et le Sénégal sont extrêmement satisfaits de constater l’achèvement et la mise en service des réalisations du projet, fruit le plus récent et exemplaire de la coopération fraternelle entre les deux pays.
Construit au début des années 1980 avec l’aide du gouvernement chinois, le barrage d’Affiniam peut être considéré comme la principale infrastructure agricole de Ziguinchor, capitale de la région méridionale du Sénégal. Il a joué un rôle très important pour le développement de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et le dessalement des terres en amont. Au fil du temps, la partie en contact avec l’eau de mer avait subi une corrosion très profonde, ce qui avait considérablement réduit la fonctionnalité et la sécurité du barrage. Suite à ce constat et sur la demande du gouvernement du Sénégal, celui chinois a envoyé en 2019 sur place une équipe technique pour renforcer le barrage, remplacer une serie d’équipements, y compris des machines et des installations électriques, revitalisant ainsi le fonctionnement du barrage.
L’exécution des travaux de réhabilitation a coïncidé avec l’éclatement de la pandémie du Covid-19 dans le monde entier. Les techniciens chinois ont malgré tout voyagé très loin au Sénégal et insisté sur leur volonté de ne pas interrompre les travaux. En étroite collaboration avec la partie sénégalaise et avec l’appui du ministère de l’Agriculture et des autorités locales, le projet qui a été realisé dans les délais prévus constitue ainsi un modèle symbolique de la coopération chinoise en Afrique de l’Ouest pendant cette période de pandemie. Le ministre Baldé, lors de sa visite du site pour la réception des travaux, a déclaré au nom du gouvernement sénégalais que le barrage d’Affiniam est un symbole vivant de l’amitié sino-sénégalaise et manifeste la cristallisation de la coopération sino-sénégalaise, et qu’il va ouvrir un large boulevard pour l’amitié entre les deux pays.
Actuellement, le barrage a repris le stockage d’eau et la voie navigable est remise en service pour continuer de jouer un rôle important pour le transport des résidents locaux, de l’irrigation des terres agricoles et des cultures.

Le Plan Sénégal émergent (Pse) attache une importance particulière à la revitalisation de l’agriculture et à la souveraineté alimentaire. En tant que grande puissance agricole orientale, qu’est-ce que la Chine peut apporter à ces objectifs ?
L’adage chinois dit : «L’alimentation est le ciel du peuple.» L’agriculture est un secteur important, étroitement lié à l’économie nationale et au bien-être du Peuple pour tout pays et gouvernement. La réforme et l’ouverture effectuées en Chine il y a une quarantaine d’années ont commencé par l’agriculture, plus précisément par la libération de la productivité rurale. Si le gouvernement chinois a toujours fait de l’agriculture l’un de ses domaines prioritaires de la coopération d’aide étrangère, c’est surtout pour partager avec les pays en voie de développement notre expérience et nos technologies agricoles de pointe, adaptées à leurs réalités sociales. Depuis 2006, la Chine a successivement envoyé au Sénégal 6 missions de coopération en matière de technologies agricoles. Pendant 14 ans consécutifs, plus de 100 experts agricoles chinois font la promotion de nouvelles technologies de la plantation maraîchère à Sangalkam et de la plantation rizière à Podor. La coopération de la technologie agricole chinoise au Sénégal présente trois caractéristiques :
1-partager sans réserve la haute technologie agricole en vue d’améliorer continuellement la qualité des légumes et du riz local. Les experts chinois ont introduit avec succès 31 variétés de légumes d’origine chinoise, en ont sélectionné 14 variétés pour le Sénégal, purifié 6 variétés de riz à haut rendement avec la technologie de purification et de rajeunissement, et procédé à l’essai de plantation de riz hybride. Les rendements à l’hectare dans les rizières en utilisant la technologie chinoise sont supérieurs à 7 tonnes, soit 3 fois celui des terres agricoles locales.
2- Appliquer la vision «il vaut mieux apprendre à quelqu’un à pêcher que de lui offrir du poisson», en donnant une importance à la fois aux démonstrations et à la formation en diverses technologies agricoles. Ainsi ont été organisées au total plus de 67 sessions de formation à la plantation maraîchère et 360 fois de formation sur le terrain, avec 10 mille 600 personnes formées. S’y ajoutent plus de 50 sessions de formation à la plantation rizière et 300 fois de formation sur le terrain avec plus de 9 000 personnes formées.
3- Intensifier le transfert de technologies pour que la science et la technologie profitent effectivement au développement agricole et aux paysans. Les experts chinois présents à Podor ont cultivé et selectionné des variétés rizières à haut rendement adaptée au climat et au sol locaux, et ont par la suite mis à la disposition des villageois plus de 40 tonnes de semences de riz. Des centaines de villageois de Sangalkam ont appris et mis en application les techniques de plantation maraîchères transmises par les experts chinois. Ce qui a considérablement augmenté leurs revenus, les débarrassant ainsi de la précarité.
Le gouvernement sénégalais a fait l’éloge des missions agricoles chinois, estimant qu’elles ont changé les pratiques agricoles locales grâce à l’enseignement de nouvelles technologies et à l’introduction de meilleures variétés, contribuant ainsi à l’autosuffisance en légumes et en céréales du pays, au développement de l’agriculture moderne, ainsi qu’à l’élimination de la pauvrété et de l’exclusion sociale.
Au-delà de la promotion de nouvelles technologies, la Chine a également aidé le Sénégal à réaliser une série de projets pour le bien-être des populations rurales, y compris le forage de puits en milieu rural, la Smart campagne, l’accès à la Tv satellite pour 10 mille villages et la mise à disposition des machines agricoles, des infrastructures rurales, ainsi que la construction des marchés et des parcours sportifs. D’autres projets sont en cours de discussion : le projet d’électrification rurale, la phase 2 du projet de forage et la phase 2 du projet de l’accès à la Tv satellite pour 10 mille villages, etc. Les projets clés d’infrastructures de base tels que le pont de Foundiougne et l’autoroute Mbour-Fatick-Kaolack jetteront une base solide pour promouvoir le développement social et économique des zones rurales du Sénégal.

Vous venez de présenter la coopération sino-sénégalaise sur l’infrastructure et la technologie agricole. En ce moment, l’efficacité de la production constitue encore un défi pour le secteur agricole du Sénégal. Qu’est-ce que la Chine peut faire à cet égard ?
Après mon arrivée au Sénégal, pendant mes nombreuses visites dans les régions, je suis impressionné par l’abondance des ressources agricoles du Sénégal et, entre autres, de ses terres arables. Cependant, j’ai également remarqué que le Sénégal a encore un long chemin à parcourir pour promouvoir la mécanisation et modernisation de l’outil agricole ainsi que pour en assurer l’accessibilité, l’adaptabilité et la durabilité. Par conséquent, il est essentiel d’améliorer la localisation et le service après-vente des machines.
Avec les encouragements et le soutien du gouvernement chinois, plusieurs investisseurs chinois ont créé ici des entreprises qui se sont engagées dans la production, l’assemblage, la commercialisation et le service après-vente des machines agricoles. Ces entreprises ont développé plus de 50 types de machines agricoles adaptées à un usage local, parmi lesquelles les machines de récolte et de décorticage d’arachide, le moulin à riz, la moissonneuse-batteuse et la moto tricycles sont très appréciés par les utilisateurs. Leurs réseaux de distribution couvrent plus de 10 villes et assurent une vente des machines, des pièces composantes et un service après-vente sur l’étendue du territoire, répondant ainsi aux besoins d’entretien et de réparation pour prolonger la durée de vie des machines.
Avec des équipements pratiques, des réseaux bien implantés et un service après-vente performant, les entreprises chinoises accompagnent sans relâche le Sénégal à améliorer le niveau de mécanisation et l’éfficacité de production agricole. La Chine s’engage à encourager plus d’entreprises chinoises à investir et à s’implanter au Sénégal. Et au lieu de faire simplement l’assemblage au Sénégal, elle compte également favoriser la production locale des équipements, en vue de contibuer davantage à la mécanisation de l’agriculture et à la floraison de nouveaux emplois.

On est actuellement dans la campagne de commercialisation de l’arachide au Sénégal. La Chine est un grand marché d’exportation de l’arachide du Sénégal. Le commerce de l’arachide occupe une part importante dans les échanges commerciaux entre nos deux pays. Qu’en pensez-vous ?
L’arachide constitue une filière essentielle à l’économie sénégalaise.
Depuis la signature d’un accord de coopération agricole sino-sénégalaise en 2014, la Chine est devenue le premier importateur des produits sénégalais et les exportations de l’arachide du Sénégal vers la Chine ont considérablement augmenté ces dernières années, atteignant 200 mille tonnes l’année dernière. L’activité a créé de nouveaux emplois, augmenté les exportations et les taxes y afférents, aidant à l’amélioration des infrastructures agricoles et notamment à une augmentation considérable du revenu des sœurs et frères sénégalais qui travaillent dans les champs.
Je voudrais souligner par ailleurs que la Chine reste elle-même la première productrice et exportatrice d’arachide du monde, avec une production annuelle de 17 millions de tonnes et une exportation annuelle de 800 mille tonnes. Les importations d’arachides depuis l’Afrique ne représentent que 3% de la totalité d’importation de la Chine. L’importation de produits agricoles en provenance d’Afrique relève d’une part de la coopération bilatérale mutuellement bénéfique, et d’autre part d’une politique préférentielle visant à élargir le marché des produits africains et à octroyer des avantages aux Peuples africains. Compte tenu de divers facteurs, le gouvernement chinois n’a autorisé que le Soudan, l’Ethiopie et le Sénégal à exporter leurs arachides vers la Chine, et négocie actuellement avec le Nigeria.
En fait, pour encourager l’exportation de l’arachide du Sénégal vers la Chine, cette dernière a adopté des politiques préférentielles exclusives. Ce qui reflète l’importance que la Chine attache aux relations amicales entre les deux pays. Dans l’avenir, la Chine souhaite approfondir la coopération avec le Sénégal dans le domaine du commerce de l’arachide en contribuant au développement de la chaîne de valeurs et de la production mécanisée du pays.

Concernant la commercialisation de l’arachide, nous avons remarqué que les acheteurs chinois proposent des prix plus élevés, impactant ainsi la collecte des huiliers et des semenciers. Quel est votre commentaire à ce propos ?
J’ai récemment noté les réactions et opinions en ce qui concerne la commercialisation de l’arachide. Je pense qu’il est tout à fait naturel d’avoir des voix différentes, voire divergentes. Tout le monde et tous les groupes d’intérêts ont leur droit de s’exprimer. Néanmoins, certaines accusations portées contre les acheteurs chinois sont injustes et ne favorisent pas un bon climat de coopération à long terme entre les deux pays. L’achat d’arachide est en lui-même un comportement de marché. Les acteurs chinois effectuent leurs transactions conformément aux principes du marché, aux règles et lois commerciales locales. Dans ce commerce, l’Etat, les grossistes, les exportateurs en ont tous bénéficié et surtout les paysans, groupe le plus nombreux et le plus vulnérable d’ailleurs, ont obtenu des bénéfices tangibles qui ont amélioré le bien-être de leurs familles. Ce genre de coopération mutuellement bénéfique devrait être soutenue et saluée, plutôt que d’être prise en otage par un certain groupe d’intérêts. Ces arguments ne peuvent tenir debout ou prospérer dans aucun pays à économie de marché. Récemment, le marché affiche des tendances positives. Nous croyons que le gouvernement sénégalais a les capacités et la sagesse de résoudre ces problèmes, et dans le respect des règles du marché et des intérêts de la grande majorité, pour maintenir un bon environnement du marché et promouvoir le développement sain et durable du commerce d’arachide entre nos deux pays.

Dans l’attente du futur développement de la coo­pération agricole et plus largement de celle entre le Sénégal et la Chine, qu’avez-vous à dire ?
Un adage chinois dit : «Un pays connaît des richesses avec une forte industrie, et la stabilité avec une forte agriculture.» Cela souligne le rôle de l’agriculture dans l’indépendance souveraine nationale et le développement économique d’un pays. Riche en ressources naturelles, le Sénégal est un grand pays agricole et jouit de bonnes conditions de développement. Ce secteur représente plus de 15% du Pib et plus de 50% des opportunités d’emplois. Le Président Macky Sall attache un grand prix à l’agriculture et au développement rural et ne cesse d’accroître les investissements. Il fournit des soutiens en matière de politique et du financement en faveur du développement de l’agriculture sénégalaise. Nous sommes heureux de constater que durant ces dernières années, la production agricole du Sénégal et la valeur du secteur ont toutes considérablement augmenté. La Chine est prête à répondre à l’appel du Président Macky Sall en mettant en synergie la coopération agricole sino-sénégalaise et le Pap2a pour apporter sa contribution au développement agricole, au renforcement de la souveraineté alimentaire de même qu’à l’émergence du Sénégal.
Le Sénégal est actuellement coprésident du Forum sur la Coopération sino-africaine (Focac) et abritera cette année la prochaine session du Focac. Ce sera un nouveau temps fort des relations sino-africaines. La coopération agricole reste toujours une priorité et un domaine important de la coopération sino-africaine. La Chine entend travailler avec le Sénégal, en tant que pays coprésidents, à multiplier nos efforts dans la préparation et la conception des acquis de la prochaine session ainsi qu’à l’innovation du mécanisme du Focac, afin de porter la coopération agricole sino-sénégalaise et sino-africaine à un plus haut niveau pour le plus grand bien de 2,6 milliards de Chinois et d’Africains.