Dialogue copié-collé

«Lettre au Président Diomaye : Gagnons du temps, passons-nous des Assises de la distraction!» C’est le titre de la contribution que j’avais signée dans Le Quotidien du 27 mai 2024. Par cette contribution à la veille des «Concertations sur la Justice», nous attirions l’attention du président de la République sur l’inutilité de disserter sur un segment qui a fait l’objet de tant de discussions par le passé. «Pour les Assises de la Justice, il serait bien d’inviter Monsieur le président de la République et les 263 invités à éviter de perdre leur temps, en allant dépoussiérer «le Rapport du Comité de concertation sur la modernisation de la Justice» d’avril 2018. Tout y est, il ne reste qu’à les appliquer pour une Justice réconciliée avec les citoyens», disions-nous. Non sans ajouter : «Avec les Assises de la Justice, le Président Diomaye devrait s’éviter de tomber dans une démarche qui ne tient pas compte du sens des urgences ni de l’ordre des priorités, et surtout de nous faire perdre du temps en voulant réinventer la roue. Evitons de faire de ces assises une arme de distraction massive pour détourner l’attention du Peuple des vraies questions et des vraies urgences. Tout est dans ce rapport de 2018 élaboré sous le magistère de Souleymane Téliko, président de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums).»
Les Assises de la Justice pour acter le reniement de Diomaye
Le temps semble nous donner raison sur plusieurs points. D’abord, les conclusions issues des conclaves sous l’égide du nouveau pouvoir ressemblent textuellement à celles issues des concertations de l’Ums, de la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) et des Assises nationales. Les mêmes points d’accord et les mêmes points de désaccord. Mieux, la seule chose que ces concertations ont permis de constater, c’est le reniement du président de la République quant à sa volonté de quitter le Conseil supérieur de la Magistrature comme il s’y était engagé dans son programme de campagne. Recevant les conclusions des Assises, le chef de l’Etat dira : «Il m’est revenu que des magistrats ne sont pas d’accord pour que le président de la République quitte le Conseil supérieur de la Magistrature. Je tiens à préciser que je ne tiens ni à y rester ni à en sortir. Je suis neutre par rapport au Conseil supérieur de la Magistrature.» Non sans ajouter : «Si les arguments du plus grand nombre ont plus de poids par rapport à la pertinence, sachez que je ne resterai plus dans le Csm. Et je n’en fais pas une obsession. Mais, je pense qu’il y a lieu de prêter une oreille attentive aux magistrats qui veulent que le président de la République reste au Csm, parce qu’après tout, il est question de leur indépendance. Mais, même si on les écoute, et que leurs arguments ne sont pas convaincants, je ne resterai pas. Donc, je ne tiens absolument pas à rester là-bas, mais je ne tiens pas non plus à en sortir.» Le 5 avril dernier, recevant des journalistes au Palais, il fera davantage montre de réserve sur cette sortie du Cms. Il dira que ce qu’il a vu après une année d’exercice du pouvoir le pousse à rester. On aura beau trouver des contorsions, le reniement est acté.
L’autre élément qui consacre la distraction que ces Assises de la Justice ont constituée, est le suivi des recommandations. Depuis une année, rien de ce qui avait été retenu de ces conclaves n’a connu un début d’exécution. La Cour constitutionnelle promise en remplacement du Conseil constitutionnel n’est toujours pas installée. Le procureur de la République a toujours trop de pouvoirs. Le juge de détention et des libertés n’est toujours pas l’organe qui doit arbitrer entre le Parquet et le juge d’instruction. Pourtant, lors du Conseil des ministres du 10 juillet 2024, le Président Diomaye demandait au Premier ministre, au ministre de la Justice et aux ministres concernés, de «lui proposer un calendrier de mise en œuvre des réformes du secteur de la Justice en droite ligne du programme législatif du gouvernement». Le communiqué du Conseil des ministres disait en effet que «cet agenda législatif (devait) viser notamment la révision de la Constitution et des codes spécifiques». Le chef de l’Etat avait aussi demandé au Premier ministre et au ministre de la Justice, de «faire une communication mensuelle en Conseil des ministres sur l’état de mise en œuvre des recommandations et décisions issues des Assises de la Justice et de tenir compte, dans cet exercice, de leur conformité avec les valeurs de notre société, notre culture et nos croyances». Jusque-là, aucune communication en Conseil des ministres, ni aucune réforme issue des Assises proposée.
C’est dans ce contexte que le prochain Dialogue national sur le «système politique» sonne comme une nouvelle distraction. «Ce dialogue concerne le système politique devant être compris comme tous les mécanismes par lesquels la dévolution du pouvoir doit se passer au Sénégal et qui est sous-tendue par le contrat social sénégalais. Donc toutes les composantes de la Nation sont d’égale dignité», précise Dr Cheikh Guèye, Facilitateur général. Il insiste que «nous sommes vus un peu partout comme un exemple, mais nous tous ne sommes pas satisfaits de l’état de notre démocratie. Une démocratie qui génère autant de violences et de morts est une démocratie malade. Donc, il faut oser l’ausculter et la soigner. C’est le sens de ce dialogue». Sauf que la démocratie sénégalaise n’a pas généré «autant de violences et de morts». C’est plutôt une affaire privée qui a eu lieu dans un lieu sordide, opposant un opposant politique à une jeune innocente, qui est en réalité l’élément qui a causé autant de violences et de morts. L’origine des morts n’est pas politique, mais la politisation d’une affaire privée.
Vingt-cinq (25) points d’accord lors du dialogue de 2020 avec le Général Niang
Pourquoi dialoguer sur un «système politique» qui a généré trois alternances ? En effet, le Sénégal a connu des avancées démocratiques depuis le Code électoral consensuel de 1992 sous l’égide du magistrat Kéba Mbaye. Les alternances au sein des collectivités territoriales ou à la tête de l’Etat sont devenues une banalité. Le fichier électoral n’est plus un enjeu car sa fiabilité n’est plus à démontrer. Le professionnalisme de l’administration organisatrice des élections (commandement territorial, Direction générale des élections, Commission électorale nationale autonome…) n’est plus un sujet de suspicion entre pouvoir et opposition.
Toutes ces questions, et bien d’autres, ont pourtant été déjà abordées en août 2020 dans le dialogue conduit par feu le Général Mamadou Niang, ancien président de l’Observatoire des élections (ancêtre de la Cena) et ancien ministre de l’Intérieur. Déjà, il est à souligner que les Termes de référence (Tdr) du dialogue de 2025 sont identiques à ceux conduits par Général Niang. Ce qui n’a pas échappé à l’expert électoral Alioune Souaré, ancien député : «Malgré tout le tintamarre autour, ils n’ont fait que copier les termes de références du dialogue de 2020», a-t-il notamment déclaré dans les colonnes du quotidien Les Echos. Et d’ajouter : «Il suffisait d’évaluer le dialogue de 2020 au lieu de mobiliser encore des millions de francs Cfa» pour un exercice déjà réalisé.
Selon le «Rapport spécial à Monsieur le président de la République» produit par la Commission cellulaire du dialogue politique du dialogue national, vingt-cinq (25) points ont fait l’objet d’un accord entre les différents acteurs politiques dont Pastef représenté par Aldiouma Sow (aujourd’hui ministre conseiller du Président Diomaye). Entre autres points qui ont fait l’objet d’accord, la modification de la loi 81-17 du 06 mai 1981 relative aux partis politiques, le renforcement des conditions de création d’un parti politique, le principe du financement public des partis politiques, le principe de financement des coalitions de partis politiques. Les acteurs politiques se sont même entendus sur la nécessité de conformer la loi 78-02 du 29 janvier 1978 relative aux réunions à la Constitution actuelle, en y intégrant la marche pacifique et le droit de marche.
Le Sénégal a toujours été un pays de dialogue, donc rien de neuf sous le soleil, les priorités et les urgences sont ailleurs. Nous avons connu les Assises nationales en 2008, les travaux de la Cnri en 2014 et le dialogue politique de 2020. Le pouvoir actuel dispose d’assez d’éléments pour renforcer les institutions de ce pays. Il suffit juste d’en prendre les conclusions et de les appliquer pour redonner un souffle nouveau à notre démocratie. Le Sénégal n’est pas né un 24 mars 2024 ; vouloir occulter les avancées majeures de notre démocratie et tenter une réécriture de notre histoire politique est peine perdue.
Goorgorlu fait face à des problèmes beaucoup plus sérieux qu’un
«waxtaane national»
Le Sénégal peut bien se passer d’un dialogue sur des questions déjà évacuées. Les autorités ont mieux à faire que de vouloir nous faire perdre du temps et de l’argent. Les priorités sont là et attendent leur prise en main. L’économie sénégalaise est agonisante, malgré le pétrole et le gaz dont les retombées ne sont pas encore visibles. La précarité et la paupérisation grandissantes des populations des grandes villes doivent vous alerter. Le Goorgorlu fait face à des problèmes beaucoup plus sérieux qu’un «waxtaane national» qui ne lui apporte pas son pain quotidien. La Tabaski est dans moins d’un mois ; et point de moutons à l’horizon, encore moins de l’argent pour l’acheter. Les vagues de licenciements sont passées par là. Les étudiants sont dans la rue.
L’urgence n’est pas à un dialogue politique, mais socio-économique. Nos hommes d’affaires sont persécutés. Les investisseurs semblent préférer d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest, car le pouvoir Pastef a fait sauter toutes les garanties de sécurité juridique des investissements avec un règlement de comptes déguisé en reddition des comptes. Il est devenu dangereux, sous le régime Pastef, d’être un homme d’affaires et de gagner des marchés de l’Etat.
Par Bachir FOFANA