Kolda – Récurrence des grossesses précoces à Médina Yoro Foulah : Des acteurs communautaires en expliquent les causes

L’Ong Grandmother project (Gmp-changement par la culture) a partagé son approche changement par la culture avec des organisations communautaires de base, services de l’Etat et Ong évoluant dans les secteurs de la protection et de la promotion des droits des filles et des femmes du département de Médina Yoro Foulah, dans la région de Kolda. Malgré les nombreuses activités de terrain pour lutter contre les violences faites aux filles, il a été signalé la récurrence, encore, des grossesses et mariages précoces dans cette localité de la région de Kolda. Les acteurs trouvent des explications, de même que des pistes de solutions.Par Abdoulaye KAMARA –
«Actuellement, le centre de santé et l’Action éducative en milieu ouvert (Aemo) de Médina Yoro Foulah (Myf) (région de Kolda) sont en train de suivre l’évolution de la grossesse d’une jeune fille âgée de 12 ans, tout au plus. Depuis le mois de décembre passé, une demi-douzaine de filles mineures en état de grossesse sont signalées dans ces services et font l’objet de surveillance.» La révélation est faite par la présidente départementale des Badiénou gox de cette localité, la semaine passée à Vélingara, lors d’un atelier de partage de l’approche changement par la culture de l’Ong Grandmother project (Gmp-changement par la culture) avec les organisations de Myf travaillant dans la protection et la promotion des droits des filles et des femmes. Mme Fatoumata Diallo Barry a ajouté : «Les mariages et les grossesses précoces sont les 2 préoccupations majeures des organisations de défense des droits de la femme dans le Myf.» Cette 2ème adjointe au maire de Myf croit en connaître les causes. Elle affirme : «Les occasions de rencontres entre jeunes filles et jeunes garçons sont nombreuses ici. Les autorisations de spectacles sont facilement accordées. Du mercredi au samedi, il y a toujours un bal ou un concert. Je crois qu’il faut corser les conditions de délivrance de ces autorisations. L’organisation des journées culturelles et pédagogiques dans les collèges et lycées est aussi une occasion de rencontres amoureuses. Il faut revoir tout cela.» Moutarou Barry, assistant-infirmier au centre de santé de Myf, embraie la même trompette : «Depuis 6 ans que je suis là, je fais face à de grossesses non désirées au niveau du centre de santé. C’est récurrent et, souvent, les victimes sont des mineures.» Cet agent de santé croit également en savoir les causes. Il dit : «C’est le fort taux d’abandon scolaire qui en est responsable. Beaucoup de filles quittent les classes entre la 6ème et la 4ème. Quand une fille abandonne l’école, ses sorties nocturnes ne sont plus interdites par les parents. Elle peut s’absenter de la maison toute la journée sans susciter l’inquiétude des parents. En fait, les parents ont démissionné de l’éducation de leurs filles.» Un autre participant à cet atelier, qui a duré 5 jours à Vélingara, a soufflé les mêmes complaintes. Abdoulaye Seydi, agent à l’Ong Ofad nafoore, a dit : «Les grossesses d’enfants sont nombreuses à Myf. La cause est due au manque de communication entre parents et filles. Si les filles sont sensibilisées, dès l’apparition des premières règles, sur les dangers de la sexualité et des grossesses précoces, ce serait différent. Malheureusement, la sexualité est toujours un sujet tabou dans nos villages.» Et puis, «au Centre de formation professionnelle (Cfp) de Myf, nous connaissons souvent des abandons en milieu d’année scolaire, ces abandons sont souvent dus à la survenance d’une grossesse, contractée soit dans les liens d’un mariage d’enfant ou en dehors de tout lien conjugal légal. Chaque année, nous en comptons des cas», a dit Babacar Ngom, formateur audit Cfp.
Toutes ces grossesses d’enfants sont enregistrées dans une localité où interviennent plusieurs Ong et services étatiques dans le cadre de la protection et de la promotion des droits des filles et des femmes. Pourquoi cette contreperformance de ces organisations ?
L’approche changement par la culture, la solution ?
C’est dans le contexte d’une survenance accrue de grossesses d’enfants dans le département de Médina Yoro Foulah (région de Kolda) que l’Ong Grandmother project (Gmp-changement par la culture) a invité les organisations communautaires de base, les Ong, des services déconcentrés de l’Etat à Vélingara, pour partager son approche changement par la culture dans les projets et programmes qui travaillent avec et dans les communautés pour apporter un changement social durable. Mamadou Coulibaly, Directeur national de Gmp-Sénégal, campe l’objet de la rencontre : «C’est un atelier sur l’approche changement par la culture. Gmp a beaucoup travaillé sur comment apporter du changement au niveau local en prenant en compte la culture. Pour ces organisations locales de Médina Yoro Foulah, l’atelier a été une occasion d’explorer la manière de prendre en compte les rôles, les savoirs, les pratiques et les valeurs culturelles pour permettre un changement social durable, porté par les communautés, pour les communautés. Comment prendre en compte la culture dans ses aspects normatif et structurel. L’aspect normatif, c’est tout ce qui est normes, pratiques. L’aspect structurel, c’est tout ce qui est en lien avec les rapports intergénérationnels, les rôles, les interactions, les influences. Cela leur a permis de voir comment il faut collaborer avec les membres de la communauté.» L’atelier a permis aux participants de réfléchir sur leurs pratiques anciennes et de trouver des explications aux limites notées dans les stratégies développées.
Mme Fatoumata Diallo Barry, présidente des Badiénou gox de Médina Yoro Foulah, explique l’échec d’une rencontre de sensibilisation contre le Sida qu’elles ont menée avec d’autres partenaires : «Pour sensibiliser les communautés contre le Sida, il nous est arrivé de réunir ensemble, imams, jeunes filles, jeunes garçons, femmes en âge de procréation et hommes. Dès que l’on a introduit le sujet et commencé à parler de sexe, l’imam nous a interrompus et dit que c’est de la foutaise de l’avoir mêlé à cette rencontre. Il s’est aussitôt levé, et puis il est suivi par plusieurs autres adultes. Je vois maintenant plus clairement la cause de l’échec de cette rencontre.» Pour Moutarou Barry, assistant-infirmier au centre de santé de Myf : «Pour sensibiliser contre l’excision, les mariages et grossesses précoces par exemple, les organisateurs parlent directement avec leur cible, les jeunes filles le plus souvent. Alors qu’il faut traiter ces sujets en considérant la communauté comme un système, prendre en compte les interactions entre les différentes générations et les différents cercles d’influence, de prise de décision dans la famille, dans la communauté. Les grands-mères par exemple sont au cœur des décisions relatives à l’excision et au mariage de leurs petites-filles.»
Pour Abdoulaye Seydi, facilitateur à Ofad nafoore, «il faut que l’on facilite, dans les communautés, un dialogue intergénérationnel, communique avec les enfants, les filles, surtout pour les mettre en confiance, les maintenir dans le droit chemin et renforcer un leadership local». A la fin de l’atelier, les participants ont pris l’engagement de partager avec leurs pairs et les collectivités territoriales de Myf le contenu de la formation et élaborer un plan d’actions pour la mise en œuvre de l’approche changement par la culture.
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