Invité d’honneur des supérieurs majeurs du Sénégal, le guide religieux musulman a éclairé de sa vision les avantages de la diplomatie religieuse, au Sénégal et ailleurs dans le monde.Par Justin GOMIS –

Les supérieurs majeurs du Sénégal ont organisé hier leur Assemblée générale sous le thème : «Pèlerins d’espérance sur le chemin Synodal.» L’occasion a été saisie par la communauté chrétienne, au dernier jour de cette rencontre, pour inviter le Khalife général de Bambilor, Thierno Amadou Ba. Objectif : discuter du bon voisinage entre musulmans et chrétiens dans le pays. Et c’est dans ce sens que le khalife a partagé avec l’assistance quelques réflexions sur ce dialogue islamo-chrétien, en s’appuyant sur trois enjeux cruciaux du moment : le vivre-ensemble, la diplomatie religieuse et la contribution des religieux et religieuses à la résolution des conflits et au drame de l’émigration. Thierno Amadou Ba déclare : «Le vivre-ensemble est au cœur de notre identité nationale. Au Sénégal, nous avons une véritable culture de la coexistence pacifique, non seulement entre religions, mais aussi entre les différentes ethnies et communautés. L’exemple de la coexistence pacifique entre les communautés musulmane et chrétienne est largement reconnu. Mais au-delà de cette dimension religieuse, il existe aussi une fraternité profondément enracinée entre les différentes ethnies qui, tout en préservant leurs spécificités culturelles, vivent ensemble dans une harmonie remarquable.»

Prenant l’exemple des communautés peule, sérère et diola, il souligne l’existence d’une pratique de plaisanteries réciproques qui, loin d’être un facteur de division, devient un puissant ciment de la cohésion sociale. A en croire le guide religieux, «ce cousinage à plaisanterie est une forme de relation inter-ethnique basée sur une complicité ludique, où chacun peut se moquer de l’autre sans animosité, créant ainsi une relation de confiance et d’amitié».
De ce fait, pour vivre ensemble, le Khalife général de Bambilor estime qu’il faut s’inspirer du cas de Bambilor où chrétiens et musulmans vivent en parfaite entente.

«A travers nos échanges, nous construisons ensemble un modèle vivant du vivre-ensemble, une alliance où nos différences ne sont pas des barrières, mais des atouts précieux pour la construction d’une société plus unie. C’est grâce à ces rencontres, riches en échanges, que nous avançons ensemble, main dans la main, pour bâtir un avenir commun empreint de fraternité», a-t-il ajouté.
Toutefois, lors de cette rencontre, les chrétiens n’ont pas caché leur inquiétude par rapport aux menaces souvent proférées par certains musulmans dans les réseaux sociaux. Répondant à cette préoccupation, Thierno Amadou Ba a tenu à préciser que la diplomatie religieuse est un instrument fondamental pour la résolution des conflits dans le monde. Selon lui, «les religions, souvent sources de tensions, peuvent aussi devenir des vecteurs de paix si elles sont orientées dans une dynamique de dialogue et de compréhension mutuelle». Et d’ajouter : «En tant que leaders religieux, nous avons la responsabilité de promouvoir la paix, la réconciliation et la justice à travers un dialogue interreligieux sincère et constructif. Nos enseignements respectifs portent en eux des valeurs universelles de paix, de solidarité et de respect de la dignité humaine, et il est de notre devoir d’utiliser ces principes pour apaiser les conflits et éviter que la religion ne devienne un facteur de division. A mon humble avis, la diplomatie religieuse, en mode contribution pour la diplomatie traditionnelle, implique l’engagement et la médiation des acteurs religieux dans les affaires nationales et internationales.»

Convaincu que la diplomatie religieuse est un outil pour la paix et la réconciliation, il a promis de mettre en place un comité composé de différentes obédiences religieuses pour aller rencontrer le Pape François à Rome. L’objet de cette visite, renseigne-t-il, sera de discuter avec le souverain pontife, de la paix dans le monde. Pour lui, les hommes politiques ont échoué sur la crise russo-ukrainienne, et il faut essayer maintenant avec la diplomatie religieuse.

Par ailleurs, lors de ces moments d’échange et de partage, le guide religieux est revenu sur l’origine de la migration irrégulière. D’après lui, elle est encouragée par les femmes qui poussent leurs enfants à se lancer dans l’aventure pour des raisons pécuniaires. «Ce sont les femmes qui disent à leur enfant, tu as vu le fils de tel, il est revenu, il a acheté telle chose, il a payé un billet pour la Mecque à sa maman, et toi tu es là, tu ne fais rien.» Et de poursuivre ses explications : «Piqué dans son orgueil, l’enfant décide d’aller à l’aventure.» Faisant porter cette lourde responsabilité aux femmes, M. Ba ajoute que c’est lié au pouvoir que l’argent a sur elles. En outre, il précise que ce phénomène symbolique et spirituel dépasse les simples déplacements géographiques.

Sur ce point, l’évêque Paul Abel Mamba a aussi tenu à préciser que c’est un mirage, mais qu’il n’y a rien que ces jeunes ne pourraient pas gagner en restant ici, dans leur pays. «Quand nous allons en pèlerinage, on voit des jeunes qui vivent dans des conditions pitoyables. Ils quémandent même pour manger. C’est honteux de les voir dans cette situation dans un pays étranger», a dit le prélat.
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