Filigrane : L’ère des successions impossibles

Une seule balle a suffi pour faire vaciller les institutions «républicaines» au Tchad. Avec l’annonce du décès du chef de l’Etat, l’institution militaire a dépouillé le Tchad de ses oripeaux de normalité républicaine. L’Assemblée nationale et le Gouvernement ont été dissous et remplacés par un Conseil militaire. Cela met à jour avec éclat, la futilité de la gestion des dictateurs africains. Plus de 30 ans au pouvoir, n’ont pas permis à Idriss Deby Itno de doter son pays d’institutions pérennes. Et si demain, l’Etat tchadien ne se trouve pas enterré avec son cadavre, ce sera tout simplement parce que la seule institution qui fonctionne dans ce pays, l’Armée, a une ossature ethnique, sinon familiale qui assure une continuité clanique.
Ce qui entre parenthèses, permet d’ailleurs de douter de la version de ceux qui prétendent que Idriss Deby aurait été victime d’un coup d’Etat militaire. Tenue de main de maître par ses frères, ses cousins et ses fils, l’Armée tchadienne est un supplétif des plus fidèles à Déby. Tuer le père pour le remplacer par le fils n’aurait ici aucun sens. Le rapprochement avec le Congo Kinshasa ne peut prospérer, pour plusieurs raisons trop longs à détailler ici.
La situation au Tchad se rapproche plus de ce que l’on a vu au Togo et au Gabon, et présage ce qui pourrait arriver bientôt en Guinée Equatoriale. Aly Bongo n’a pu se maintenir au pouvoir que sous la forte pression de l’Armée française. Faure n’a pas eu à recourir à la France, son armée étant seule en mesure de casser toute velléité d’opposition. Comme à Brazzaville, les armées familiales créent les situations de rendre toute succession impossible hors de la famille.
Mais ces satrapes ne font qu’exposer la vanité d’un pouvoir basé sur la force des armes. Tôt ou tard, cette force aura en face d’elle une force aussi puissante, et ne laissera alors qu’un pays en ruine. Les exemples sont légions en Afrique et ailleurs.
Ceux qui prétendent aimer les Africains, devraient demander à leurs dirigeants d’assurer la stabilité de leur pouvoir par la bonne gouvernance et l’ouverture. D’autant plus qu’ils n’ont pas tous des militaires aussi aguerris que ceux de Idriss Déby, pour mater les rebellions.
La grimace du destin a fait que le chef de l’Etat tchadien a perdu la vie le même jour que la veuve de l’ancien dirigeant camerounais Ahmadou Ahidjo. Ce dernier est mort au Sénégal, en exil, après plus de 20 ans au pouvoir. Et son successeur est toujours aux affaires, près de 40 ans après. M. Biya doit se croire immortel, lui qui, comme Deby, refuse d’envisager une vie hors du pouvoir. Cette situation est sans doute très confortable pour lui. On peut douter qu’elle le soit pour ses compatriotes. En Côte d’Ivoire aussi, Houphouët Boigny s’était aménagé une «succession impossible». Son pays n’a pas fini de payer le prix de cette vision des choses.