Focus – Entreprises d’extraction minière : Les droits humains se cherchent une place
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C’est un code à «miner» avec de nouvelles dispositions. Dans les sociétés extractives, la société et les structures de défense des droits humains voudraient intégrer dans le Code minier, le volet «droits humains» et d’autres voies de recours que les travailleurs victimes de certains abus pourraient activer pour obtenir réparation.Par Cheikh CAMARA –
Souvent, les relations entre les entreprises et leurs voisins sont conflictuelles. Quid de celles avec les travailleurs ? Il y a une évolution sociétale qui rattrape tout le monde avec l’intégration de nouveaux droits. Au Sénégal, le contexte économique, marqué par les nombreux efforts du gouvernement, exige, pour un développement économique et social harmonieux, la transparence et le respect des droits humains dans l’activité économique et sociale des entreprises. C’est dans cet esprit que le gouvernement a pris d’importantes mesures en vue de renforcer l’équilibre entre la recherche de profit des entreprises, garant de la pérennité de leurs activités, le respect de la loi et des règlements en vigueur, et le respect des droits fondamentaux des populations.
Il s’agit notamment de l’adoption d’un nouveau Code minier qui intègre le respect des droits humains, avec l’adhésion du Sénégal à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) depuis 2013 et de la mise en place d’un comité national qui produit et publie régulièrement ses rapports. «C’est dans cet esprit, nous explique M. Abdoul Aziz Diop du Forum civil, qu’il a permis également des initiatives telles que l’étude commanditée par le Comité sénégalais des droits de l’Homme (Csdh) sur la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations unies dans le secteur extractif en juin 2021, à travers l’Observatoire national pour le respect des droits de l’Homme dans le secteur extractif (Onrdh-Se).»
Dans le cadre du processus d’élaboration d’un Plan d’actions national (Pan) sur les entreprises et les droits de l’Homme, il serait logique de l’adoption, par notre pays, des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme de 2011. Les actions suivantes ont déjà été menées avec l’appui technique et financier du Pnud et du Hcdh : l’envoi de la contribution du Sénégal pour le renouvellement de son engagement sur les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme le 6 janvier 2017, l’organisation d’un atelier d’échanges avec le secteur privé sur les entreprises et les droits de l’Homme le 26 avril 2023, l’élaboration d’une feuille de route pour la réalisation du Plan d’actions national en juin 2023. Sans oublier la mise en place d’un Comité restreint composé de représentants du gouvernement, du patronat, des organisations de la Société civile et du Csdh pour l’élaboration dudit Pan, l’organisation d’un dialogue multisectoriel sur le Pan entre le gouvernement et les acteurs non étatiques en août 2023, la participation du Sénégal à la 2ème édition du Forum de l’Union africaine sur les entreprises et les droits de l’Homme à Addis-Abeba en septembre 2023 et à la 12ème édition du Forum international des Nations unies en décembre 2023 à Genève.
Ainsi, pour aller rapidement vers l’adoption d’un Plan d’actions national et ainsi permettre au Sénégal d’être le premier pays francophone à en disposer, le ministère de la Justice, à travers la Direction des droits humains (Ddh), en collaboration avec ses partenaires que sont le Hcdh, le Pnud, le Csdh, organise des consultations nationales sur les entreprises et les droits de l’Homme dans des endroits stratégiques du pays où des allégations de violations des droits humains liées aux entreprises sont souvent soulevées. Ces consultations, considérées comme l’une des modalités les plus fiables en ce qu’elles seront inclusives, permettraient une meilleure identification des vrais problématiques en vue d’une meilleure orientation des politiques publiques en la matière.
A cet effet, notent les acteurs, le Comité restreint institué depuis 2023, chargé du suivi du processus d’élaboration du Pan, a porté son choix sur les régions de Thiès, Saint-Louis et Kédougou pour l’organisation de consultations nationales.
Dans cet exercice, renseigne Abdoul Aziz Diop du Forum civil, le gouvernement bénéficie de l’appui du Csdh en tant qu’institution nationale de promotion et de protection des droits humains, ainsi que du soutien technique et financier des partenaires tels que le Hcdh et le Pnud, qui accompagnent le Sénégal depuis le début du processus. Le comité a déjà mené des missions de terrain dans lesdites localités, qui ont permis aux membres de la délégation d’entrer en contact avec les autorités administratives, locales, judiciaires, la société civile locale, ainsi que les communautés, et d’avoir des discussions fructueuses autour de la problématique qui vont faciliter les consultations.
Objectif des consultations nationales
L’objectif principal est d’offrir, d’une part, un espace d’apprentissage et d’échanges en vue de stimuler et soutenir l’adoption du Pan du Sénégal et, d’autre part, de favoriser, par la vulgarisation et la sensibilisation, l’appropriation des principes directeurs, des mesures et/ou politiques de consolidation des pratiques en matière de promotion des droits humains par les entreprises, mais aussi et surtout d’identifier les défis et obstacles à la mise en œuvre effective des droits humains dans l’activité des entreprises.
Spécifiquement, les consultations visent à «sensibiliser les autorités politiques, administratives, locales, les chefs d’entreprises, les organisations de la Société civile, les syndicats et les populations sur les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme», «créer un cadre de discussions entre toutes les parties prenantes afin de comprendre le contexte local, la typologie du contentieux et in fine, recueillir leurs recommandations en vue de l’élaboration et l’adoption du Plan d’actions national», «recueillir des données informations crédibles à jour et fiables sur les réclamations et contestations concernant les entreprises et les droits de l’Homme», «connaître le niveau de connaissance et d’appropriation des principes directeurs par les entreprises, ainsi que les défis et obstacles auxquels ces dernières sont confrontées pour leur respect dans leurs activités économiques», «mesurer les enjeux du respect des principes directeurs aussi bien pour les entreprises, l’Etat que les populations», «insuffler une volonté d’appropriation des principes directeurs par les entreprises», «favoriser la vulgarisation et la sensibilisation sur les principes directeurs et les droits humains, et aider le gouvernement à formuler des politiques éclairées, mais surtout à constituer une source de meilleures pratiques et d’expériences».
Ces consultations nationales, appuyées par le Pnud, le Hcdh et le Csdh, se déroulent sur deux jours pour chaque zone cible, avec la participation des autorités gouvernementales dont les missions contribuent à la mise en œuvre des principes directeurs, du secteur privé, des organisations de la Société civile et d’autres parties prenantes, notamment les communautés, les chambres de commerce, les leaders communautaires, les collectivités territoriales, etc. Les travaux se tiennent sous forme de partage d’informations et d’expériences, avec des présentations sur les principes directeurs, le cadre normatif relatif aux entreprises et aux droits de l’Homme, et le contexte local. L’équipe de coordination organise et choisit un certain nombre de groupes de discussion (Focus group) pour mener des entretiens qui offrent une interaction, et chaque membre est encouragé à identifier, décrire, analyser ou résoudre un problème. De plus, les entretiens de groupes de discussion permettront de recueillir les recommandations émanant des différentes parties prenantes en vue d’enrichir les éléments utiles à l’élaboration du Pan. L’équipe de coordination peut également envisager de mener des entretiens avec des acteurs-clés tels que les organisations de la Société civile, les représentants de communautés victimes, pour disposer d’informations-clés sur l’ampleur du phénomène.
Les premières journées des consultations ont été consacrées à des présentations sur les Principes directeurs des Nations unies, le cadre normatif relatif aux entreprises et aux droits de l’Homme, et sur le contexte local.
Cette session a fourni des informations aux participants sur la façon dont les défenseurs des droits humains et les victimes d’abus liés aux activités des entreprises peuvent accéder aux mécanismes de recours nationaux des droits humains, ainsi que ceux de l’Onu et de l’Ua pour obtenir éventuellement réparation. Les discussions ont porté sur les questions liées aux entreprises et aux droits humains, et plus spécifiquement sur la manière de prévenir les violations des droits de l’Homme par les entreprises. Ce qui, souligne M. Diop, doit être la posture de chaque acteur (Etat, Osc, syndicats, entreprises, communautés, etc.) dans la prévention de ces types de violations et sur les voies de recours dont disposent les victimes pour obtenir réparation.
Correspondant