Le département de Salémata, à plus de 800 km de Dakar, a longtemps souffert de son enclavement. Résultat, un déficit d’enseignants, lié à une carte scolaire clairsemée, a favorisé l’émergence et le développement de systèmes scolaires informels. Aujourd’hui, les écoles de brousse, qui comptent plus de 450 élevés, posent problème.

Pendant la cérémonie de lancement des 72h de Poésie et Slam, vous avez attiré l’attention sur l’absence d’une bibliothèque dans le département et un manque de bouillonnement intellectuel. C’est un plaidoyer que vous lancez ?
L’un des aspects négatifs dans ce département, c’est qu’il n’y a pas du tout de bouillonnement intellectuel. Il n’y a pas de cadre d’expression où ceux qui aiment la littérature, la culture, les arts peuvent s’exprimer. Il n’y a pas de cadre où les élèves et les enseignants peuvent s’instruire. Nous en parlons depuis un certain temps. C’est vrai que nous sommes dans un secteur où nous devons pouvoir faire quelque chose. Nous avons aussi eu à démarrer avec des concours de lecture expressive avec les enfants de l’élémentaire. Ça s’est fait de manière timide parce que seuls les élèves et les enseignants ont participé à ces concours. Nous aurions voulu que ça soit élargi aux populations. Nous ne sommes pas découragés pour autant.

Quelle est la carte scolaire du département ?
Nous sommes un petit département où il y a beaucoup de villages, et dans tous les villages, il n’y a pas d’école. Mais parfois, ce sont de petits villages ou des hameaux de culture, et il faut le préciser, nous sommes à 70 écoles, 6 cases des tout-petits et 9 écoles du moyen-secondaire. Un seul lycée dans tout le département. Nous sommes en train de nous battre pour renverser la tendance. Il y a quatre ans, quand nous sommes arrivés dans ce département, on était à 64 écoles. Nous avons pu créer 6 autres écoles. Mais il faut le dire, avec parfois les difficultés liées au déficit d’enseignants, il nous arrive parfois de geler des écoles. On a aussi parfois des villages où on constate un départ massif des populations et des enfants vers les Diouras. S’il n’y avait pas ces difficultés, on serait peut-être à plus de 70 écoles.

Et quand ils partent, aucun dispositif ne permet de suivre la scolarité des enfants ?
Ils partent avec les enfants et seuls quelques-uns restent. Dans une école, on peut après un départ massif, se retrouver avec une vingtaine d’élèves. A côté aussi, il y a beaucoup de villages qui n’ont pas d’écoles. Ce sont certes de petits villages, mais on devrait quand même pouvoir mettre des écoles si le personnel que nous recevons le permettait. Il y a toutefois une initiative locale que nous avons trouvée et qui date des indépendances : les écoles de brousse, qui aujourd’hui comptent plus de 450 élèves. C’est un système non formel.

Quel est le principe de ces écoles de brousse ?
Ce sont des promoteurs privés, des fils du terroir, en rapport avec la communauté éducative chrétienne, qui ont installé ces écoles depuis longtemps pour booster la scolarisation, et le système perdure. Mais de plus en plus, on est en train de voir la régression de ces écoles puisque le système formel est en train de se déployer partout. A chaque fois que nous nous déployons quelque part, on leur demande de fermer et de partir. Parce que c’est du non-formel, et ce n’est pas systématisé. Déjà, ils ne démarrent pas leur année scolaire en octobre, mais aussi le quantum horaire est plus faible. En plus, ils fonctionnent du CI au CE2, et c’est après que les enfants viennent rejoindre nos écoles. Mais le constat, c’est que le niveau de ces élèves est assez faible. Ça se comprend puisque ce ne sont pas des enseignants formés comme les nôtres, le quantum horaire aussi n’atteint pas les 900h qui sont le minimum requis. Voilà tout un ensemble de faits et de raisons qui font qu’il faut qu’on aille vers la disparition de ce type d’école.

Avez-vous des abris provisoires ?
Grace aux efforts de l’Etat, avec le projet de résorption des abris provisoires, on est en train de construire des écoles. Mais à chaque fois qu’on crée de nouvelles écoles, de nouvelles classes, naturellement, on fonctionne d’abord avec des abris provisoires. Mais il n’y en a pas beaucoup.

Vous le disiez, il y a un déficit de personnel. C’est parce que la zone n’est pas très attractive ?
A notre dernier Conseil départemental de développement (Cdd) préparant les examens, on en discutait. Qu’est-ce qui fait que les enseignants partent ? Je pense qu’il y a plusieurs raisons. Les enseignants viennent d’ailleurs, de Dakar, Saint-Louis, Thiès, etc. Ce sont de jeunes enseignants qui viennent seuls, sans leurs familles. Alors ils veulent tout le temps être en famille, donc quand ils épuisent les trois ans qu’ils ont l’obligation de faire ici, ils demandent à partir. L’autre aspect, c’est une zone très chaude et l’accessibilité du département n’est pas simple. Ce sont des ravins, des collines. Donc ce sont des raisons liées au relief, au climat, mais aussi à leurs ambitions.

Il y a aussi beaucoup de choses qui entravent la scolarité des jeunes filles dites-vous ?
Oui. Dans le département de Salémata, culturellement, les filles se marient tôt. On ne croit pas encore à l’éducation des filles. Il y a les mariages précoces, mais également les grossesses précoces notées dans certains villages et pour certaines ethnies. Ce sont deux aspects qui font que les filles peinent à rester dans les écoles. Mais beaucoup d’Ong nous aident à travailler sur cela et nous-mêmes avons des plans de riposte. Actuellement, j’ai envie de dire que la donne est légèrement en train de changer.

Quand on fait le décompte du nombre de candidats que nous avons, au Cfee, cette année, on a pour la première fois plus de filles que de garçons.
L’indice de parité est en faveur des filles, et on pense que c’est le fruit des combats que nous sommes en train de mener pour que les filles restent à l’école.