Après «Périple solaire», «Tranches de vies», «Cogite-19» et «Ballades nocturnes», Moussa Seydou Diallo revient avec «Epines et Roses», un recueil engagé qui mêle poésie et plaidoyer. Bilingue, l’ouvrage aborde la migration, la question de la Palestine, la mémoire des Tirailleurs sénégalais et les fractures politiques entre mars 2021 et avril 2024, tout en rendant hommage à la femme. Président fondateur de l’association Food for children (Ffc) et initiateur du festival des «72h de poésie et slam» de Kédougou, Moussa Seydou Diallo refuse le confort du silence.Propos recueillis par Ousmane SOW – Votre cinquième recueil s’intitule «Epines et Roses». Que symbolise pour vous ce contraste au cœur de votre poésie ?

Effectivement, Epines et Roses, c’est déjà un contraste, un antagonisme, mais il faut également le prendre comme étant un compagnonnage positif et utile dans l’exercice de la vie, puisque l’un ne va pas sans l’autre. Dans cet ouvrage, la rose, naturellement, c’est pour symboliser la beauté, l’amour, la joie, le bonheur. Mais à côté, il y a également des épines. Les épines, en fait, c’est ce qui accompagne en réalité la rose, parce qu’effectivement vous n’avez pas de rose sans épines. Les épines, c’est un peu les moments de faiblesse, les vicissitudes de la vie, les obstacles de la vie, les difficultés qui ponctuent notre existence. Donc épines pour parler des difficultés et des problèmes, et roses pour parler de nos moments de bonheur, de joie. Juste pour dire en définitive qu’il n’y a pas de vie sans épines, mais il n’y a pas d’épines sans roses. Et ce qui est le plus important, ce qu’on doit comprendre, c’est que la vie, elle n’existe pas au singulier. Elle n’existe et n’est faite qu’au pluriel. C’est ce qui fait qu’il y a des couples. Là où vous voyez des gens heureux, souvent il y a des gens malheureux. Quand vous voyez le jour, vous verrez la nuit. Quand vous voyez le soleil, vous verrez la lune. Voilà, donc ce sont des binômes comme ça qui construisent la vie. Quand il y a des souffrances, il y a également de la joie. Les deux vont de pair. Dans le chemin de la vie, il y a des hauts et des bas. Et le tout, c’est de rester constant et dans l’endurance pour travailler dans l’épreuve. Dans «Parfum de Tamariniers» de Amadou Elimane Kane, le chant du baobab ne mendie pas, ne gémit pas, ne trahit pas, n’attend rien de personne. A chaque génération, son tamtam.

Justement, qu’est-ce qui distingue ce livre de vos précédents ouvrages poétiques ?
D’abord, c’est au niveau de la forme. Là, vous avez un ouvrage qui est bilingue, qui est écrit en deux langues. La première partie est en français. Et la deuxième, en anglais. L’autre élément, au niveau de la forme, dans le livre, en fait, vous avez trois parties. Vous avez une partie qui revient, qui rend hommage à la femme, une autre qui parle des faits de société, et une dernière qui parle, si vous voulez, de l’amour. Autre chose également, c’est qu’il y a justement des prises de position par rapport à des faits de société. Ce sont les questions de migration, de la Palestine. Dans ce livre-là, on donne notre position par rapport à ce qui se passe aujourd’hui en Palestine. Mais poétiquement parlant, il y a la question de la reconnaissance des Tirailleurs sénégalais. Vous verrez également les événements de mars 2021-avril 2024 qui ont teinté l’atmosphère politique au Sénégal. L’idée étant d’interpeller les uns et les autres, mais également de mettre chacun face à ses responsabilités et face à l’histoire.
L’autre grande différence par rapport aux anciens ouvrages, c’est que la couverture, c’est une toile qui a été réalisée par un artiste peintre sénégalais. C’est une façon de rendre hommage à l’artiste Mamadou Ndao, alias Xouli, qui est établi en Suisse, à Berne. D’ailleurs, j’ai eu à le rencontrer, à Berne, lors de mes visites, à faire une interview justement sur ces questions-là, sur l’art. Donc, c’est une manière de rendre hommage à cet artiste-là, mais aussi de mettre en valeur le talent et la créativité des artistes sénégalais. Et d’ailleurs, je pense que pour l’édition, ce serait vraiment aberrant, en réalité, de prendre ou acheter des photos illustratives en ligne, alors que nous avons des artistes qui peuvent bel et bien traduire, via des toiles, les titres ou en tout cas l’expression ou le ressenti que nous voulons dire dans nos ouvrages. Et ça permet de faire aujourd’hui ce que j’appelle des vernissages poétiques. Aujourd’hui, avec Xouli, dans un futur proche, on est en train de voir les possibilités de le faire lors d’une cérémonie de présentation ou de dédicace, ou alors d’essayer de faire quelque chose au niveau de Berne. Il s’agirait aujourd’hui de faire un vernissage de tableau, au cours duquel il y aurait en fait des résidences poétiques, de la poésie qu’on va écrire à partir d’une exposition.

Vous êtes pédagogue, journaliste et acteur associatif. Comment ces différentes expériences nourrissent-elles votre écriture poétique ?
J’ai un parcours assez éclectique, entre la pédagogie, le journalisme, les activités associatives avec le festival que j’ai initié à Kédougou, «72 heures de poésie et de slam». Forcément, ma trajectoire professionnelle influence mes écrits parce que ce sont des expériences qui sont différentes, mais en réalité qui se renforcent, qui se conjuguent. En tant que pédagogue, il s’agit de transmettre des connaissances, d’aider à l’acquisition des connaissances, des compétences. En tant que journaliste, c’est de divertir, d’enseigner à travers l’information. En tant qu’acteur engagé, il est question de travailler dans le développement d’actions ou d’activités qui puissent avoir un impact sur l’humain, mais également sur le développement de l’environnement dans lequel baigne l’humain. Dans toutes ces activités, vous verrez que ce sont des rencontres, des échanges qu’on a, mais surtout des expériences de vie qu’on acquiert. Et ce sont ces expériences de vie qui nous inspirent dans la rédaction de nos textes poétiques. La poésie de Moussa Seydou Diallo n’est pas en fait une poésie qui est décalée de ce que nous vivons. Quand vous lirez une poésie de Moussa Seydou Diallo, vous verrez forcément dans ce qu’il dit que c’est quelque chose que nous vivons, que des personnages incarnent, et forcément vous allez vous retrouver dans ce qu’il dit. Et ça, ce sont les expériences conjuguées, la somme de toutes ces expériences-là qu’on arrive à mettre dans un livre poétique, accessible et comestible.
Autre chose, dans l’aspect pédagogique que vous dites ou même dans l’aspect journalistique de la chose, sur l’enseignement, c’est souvent une poésie qui est accessible à tout le monde, à tous les âges, puisque tout simplement le style est simple. Donc c’est un tout petit peu ça, l’approche pédagogique que vous retrouvez dans cet ouvrage-là. Mais vous verrez que c’est une autre forme poétique également, qui, au-delà de faire plaisir à l’oreille, comme on dit, est une manière de donner l’information autrement.

Dans vos textes, la femme occupe une place particulière. Quelle signification cela a-t-il pour vous ?
En fait, ce sont les relations d’ailleurs que j’éprouve, ou que j’ai, comme je dis, la femme, c’est ma source d’inspiration. La femme, en réalité, c’est la matrice du monde, c’est le pilier sur lequel repose l’humanité. D’ailleurs, dans un texte, je dis à la femme que l’avenir n’est point devant toi, tu es l’avenir. Puisque, pour moi, ce n’est pas différé, c’est la femme, l’avenir, c’est elle-même, puisque c’est elle qui procrée. Donc, aujourd’hui, elle symbolise la vie, elle symbolise l’espoir, elle symbolise l’espérance. Elle symbolise aujourd’hui le souffle de vie. La femme est également épineuse, parce qu’elle a des hauts et des bas. Et ce sont les hauts et les bas de la femme, qu’elle soit épanouie ou pas, qu’elle soit heureuse ou pas, en fait, on le ressent. En fonction que nous soyons un mari, un fils ou un frère, en fait, on le ressent et on le vit avec elle. Donc, aujourd’hui, parler de la femme, en réalité, pour moi, ce n’est pas le fruit du hasard, c’est quelque chose de normal, de naturel. Et je me réjouis d’ailleurs de pouvoir m’inspirer de la femme, de créer, de tisser ma carrière poétique à partir de ce qu’elle représente pour moi. Et ça, sous toutes les formes également parce que quand je parle d’amour, je parle de la femme. Quand je parle de migration, je parle de la maman. En fait, c’est la femme avec toutes ses qualités et tous ses défauts. Et quand je parle de la femme également, je ne peux pas ne pas parler de ma maman, celle qui m’a mis au monde. Quand je parle d’elle en fait, je parle de toutes les femmes sénégalaises, africaines en particulier, et du monde de manière globale. Et quand je parle de la femme également, il ne faudrait pas que les hommes se sentent vexés. Puisque pour moi, de la même manière qu’on parle d’épines et de roses, on ne peut pas parler de femme sans parler d’homme. Tout comme on ne peut pas parler d’homme sans parler de femme. Quand je rends hommage à la femme, je ne fais que rendre hommage à l’humanité.
ousmane.sow@lequotidien.sn