Le président de la République estime être en mesure de trouver de l’emploi à 1 million de jeunes Sénégalais d’ici 5 ans, en particulier grâce à l’agriculture. Or les producteurs de l’agro-industrie, qui produisent une bonne part de la valeur ajoutée du secteur, se plaignent d’être laissés à eux-mêmes face à la contrebande des produits frauduleux. De plus, beaucoup ne peuvent s’étendre par manque de terres disponibles.

Dès sa prestation de serment, le chef de l’Etat Macky Sall a pris l’engagement de porter le niveau de création d’emplois à 1 million durant son mandat actuel. Et le secteur susceptible de lui faire atteindre son objectif est, bien naturellement, celui de l’agriculture, bien loin devant celui des hydrocarbures. Le Sénégal a un potentiel agricole non négligeable, et qui est loin d’avoir donné la pleine mesure de ses capacités. Et un tissu agro-industriel assez important existe, qui produit et exploite ces ressources.
Ainsi, dans la vallée du fleuve Sénégal, des agro-industries produisent du sucre, de la tomate concentrée, du lait frais et du yaourt, du riz, sans parler de la patate douce, du maïs, de la mangue, ainsi que d’autres produits destinés à l’exportation. Vaille que vaille, en dépit d’un environnement socio-économique difficile, elles essaient de tirer leur épingle du jeu. Dans la Vallée du fleuve Sénégal, sept des plus importantes ont mis en place l’Association des agro-industriels de la Vallée du fleuve Sénégal (Vallagri) qui, prise de manière globale, est le plus important producteur et exportateur horticole du pays. Néanmoins, ses membres sont en butte à des contraintes tenant lieu à la disponibilité des terres, et surtout à la concurrence déloyale.

Les producteurs
de tomate en rade
Mais déjà, les agro-industriels ont fortement contribué à l’amélioration du pouvoir d’achat des populations qui les entourent. Les femmes qui travaillent dans les champs ou dans les magasins de triage des légumes ne perçoivent pas moins de 130 mille francs Cfa en moyenne. Cela a permis à l’un des administrateurs des Grands domaines du Sénégal (Gds) de déclarer, en montrant les femmes occupées à assembler les cartons des tomates-cerises destinées à l’exportation : «Aucune de ces dames ne veut plus travailler comme ménagère. Celui qui veut une bonne dans la zone sait qu’il va devoir casquer fort, parce que le travail à l’usine de production a rendu ces femmes ambitieuses.»
Ce niveau de rémunération s’explique aussi par la rentabilité du business et la nécessité de s’entourer des équipes plus ou moins bien formées. Hormis la Compagnie sucrière sénégalaise (Css) qui a le monopole de la production du sucre au Sénégal, ainsi que la Laiterie du Berger qui produit du lait frais à partir du lait acheté auprès des éleveurs de la région, et dont le produit phare est le lait caillé et le yaourt commercialisé sous le label «Dolima», les cinq autres entreprises membres de Vallagri travaillent essentiellement pour l’exportation. Ainsi, la Société des cultures légumineuses (Scl), les Grands domaines du Sénégal (Gds), West african farm (Waf), et Safina font toutes de l’horticulture sous serre et exportent l’essentiel de leur production. Seuls les surplus sont vendus sur le marché local, et à des doses assez faibles. Ce qui d’ailleurs contribue fortement à préserver leur relative discrétion.
Dans le même cas se trouve aussi la société des Salins du Saloum qui produit et exporte du sel, essentiellement marin, dans la zone du Saloum, et qui voudrait étendre encore ses activités dans la partie nord du pays. L’autre exception dans le domaine agricole est la société Socas qui produit de la tomate concentrée à partir de la production locale, payée auprès des producteurs locaux. Pendant des années, une situation de monopole lui avait permis de se développer grandement, en contractualisant les paysans qui lui fournissaient la matière première. Mais il y a environ dix ans, l’arrivée de nouveaux acteurs dans le secteur, suite à une libéralisation mal conduite, a cassé la fragile filière tomate qui se mettait en place. Les nouveaux acteurs, plus attirés par l’appât du gain, ont préféré se fournir en double concentré de tomates en Chine, qu’ils se contentent de transformer en triple concentré au Sénégal. En conséquence, le paysan n’a même plus la rémunération que lui garantissait la Socas, et a moins le souci de la qualité de la marchandise qu’il met en vente. En conséquence, la Socas, qui avait deux usines de transformations dans la Vallée, en a fermé une et s’est également mise à importer du double concentré de tomate, achevant de tuer la production locale. Comme disent les producteurs de tomate de la région, «avec le monopole de la Socas, on écoulait très facilement 80 mille tonnes de tomates fraîches. Aujourd’hui, avec 3 industriels sur le terrain, les producteurs ne parviennent pas à écouler 40 mille tonnes de tomates. Où se trouve l’erreur» ?

La terre, objet de
toutes les convoitises
Nonobstant les désagréments de l’un de leurs membres, les agro-industriels de la Vallée souhaiteraient avoir la possibilité de développer encore plus leurs activités. Et pour ce faire, ils demandent des terres. Montrant les limites de ses terres dans la région de Diama, Michael Laurent, le Pdg de la Scl et accessoirement président de Vallagri, a voulu exprimer le sentiment de tous en indiquant que l’accès à la terre est devenu un véritable casse-tête pour tous les investisseurs dans la région. Il a même indiqué que «la question foncière demeure le nœud gordien de l’investissement agricole au Sénégal. Et la pression sur la terre s’accentue avec le développement du pays. L’impasse des initiatives réglementaires destinées à créer un nouveau cadre juridique et la diversité des acteurs et des pratiques observées jusque-là conforte le sentiment que les solutions sont à rechercher dans des approches nouvelles basées sur des compromis et des partenariats forts avec tous les acteurs, en particulier avec les populations concernées et leurs représentants». Dans le cas de la Scl qui a voulu des terres pour son expansion, il a fallu s’adresser directement aux populations autochtones pour obtenir ce qui était recherché. Michael Laurent, qui ne veut surtout pas entendre parler d’accaparement de terres, affirme que «les communautés de base sont heureuses de nous céder une partie de leur terroir». Sans vouloir préciser de quelle manière, il assure que sa société a acquis 1 500 ha supplémentaires dans la zone de Diama pour faire pousser des mangues et d’autres cultures sous serre, et «accordé de nombreuses facilités aux populations locales, en plus de garantir de l’emploi à des jeunes gens des villages, surtout ceux qui n’ont pas une scolarité très avancée, et qui pourraient difficilement trouver un emploi rémunéré en dehors de l’agriculture par exemple». Par cette méthode, il déclare avec force que les populations ne «se sentent pas dépossédées, et même participent au développement de leur terroir. Les investisseurs leur réservent une part des retombées de l’investissement sous forme de revenus», assure-t-il.
Mais tous les acteurs n’ont pas des partenaires aussi compréhensifs. La Css, qui a éprouvé de nombreuses difficultés pour mettre en œuvre son programme KT150, qui a permis de passer à 150 mille tonnes de sucre, a dû renoncer à porter ce chiffre à 250 mille tonnes, faute de réserve foncière disponible. Et les autorités locales ne l’ont pas aidée dans ce besoin, malgré les garanties du chef de l’Etat.

La promesse
oubliée de Macky
On se rappelle que, de passage à Richard Toll en février dernier, en pleine campagne électorale, le Président Macky Sall avait crié devant le monde entier qu’une fois réélu, il allait aider la Compagnie sucrière sénégalaise, non seulement à sécuriser sa production, mais en plus, à l’écouler sans difficulté. A cette période, du fait des produits entrés en contrebande au pays, la Css avait un stock d’invendus d’environ 80 mille tonnes. Depuis lors, la situation ne s’est pas vraiment améliorée et la compagnie est toujours maintenue sous perfusion financière par son propriétaire, Jean Claude Mimran.
Les difficultés des secteurs du lait, du sucre et de la tomate concentrée peuvent se noter également dans le secteur du riz. Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, le Président Macky Sall a fait de l’autosuffisance en riz l’un de ses principaux chevaux de bataille dans le domaine de l’agriculture. Son ancien ministre de l’agriculture, Papa Abdoulaye Seck, un spécialiste mondial de cette denrée, l’avait même convaincu de lancer le Pro­gramme national d’autosuffisance en riz (Pnar) qui a absorbé près de 90 milliards de Cfa.
Si effectivement la production rizicole a connu un certain regain dans le pays, les importations ont néanmoins été encore plus importantes. Ce qui a quelque part annihilé les efforts de l’Etat et des producteurs. Face à ces nombreux défis, des voix s’élèvent pour demander à l’Etat d’infléchir sa politique et son ordre des priorités.
Un industriel estime que l’on ne peut penser réaliser l’autosuffisance alimentaire du Sénégal tout en s’arrangeant pour qu’il soit «plus rentable d’importer que de produire. Pendant que les importateurs de riz ne payent pas la Tva pour le riz importé, le producteur local paye la Tva sur l’énergie et le matériel d’exploitation, sans pouvoir le récupérer. Il faut de la cohérence quand il s’agit de piloter l’économie d’un pays». Il indique que même la Sonacos, portée à bout de bras par l’Etat, connaît les mêmes problèmes de mévente du fait de l’entrée incontrôlée de l’huile étrangère au Sénégal.