Les diplômés en arabe ont toujours des problèmes d’insertion professionnelle. Souvent, ils se retrouvent seulement dans l’enseignement alors qu’ils ont des diplômes d’ingénieur, de médecin, de journaliste. Ils réclament une université et des médias en langue arabe. Par Justin GOMIS –
L’insertion des arabophones dans les corps de métiers au Sénégal se pose encore avec acuité. Pr Babacar Diallo, Directeur général du Centre des hautes études de Dakar, plaide : «Ils doivent être insérés dans tous les corps de métiers.» Pour corriger «cette injustice», une convention de partenariat a été signée, ce samedi, entre le Mouvement des arabophones du Sénégal et le Département arabe de Dakar Sciences Po. «Cette initiative a démarré depuis deux ans. Nous avons vu que les arabophones éprouvent beaucoup de difficultés pour leur insertion professionnelle. Pourtant, parmi eux, il y a de nombreux diplômés dans de très grands secteurs. Mais, s’ils ne sont pas enseignants, ils n’ont absolument rien», s’est désolé le directeur de Dakar Sciences Po.
C’est pour cette raison qu’un Département de Sciences politiques en langue arabe a été créé au sein de son établissement pour mieux outiller ces arabophones. «On a vu qu’il y avait un problème à ce niveau-là. On a eu l’idée de créer un Département de Sciences politiques pour faire un département entièrement dédié à la Science politique, mais en langue arabe. On a décidé, dans le cadre du Département entrepreneurial de Dakar Sciences Po, de faire en sorte que les arabophones puissent trouver les outils qui leur sont nécessaires pour être des acteurs autonomes de leur propre destin en créant leurs propres activités», a-t-il expliqué. Et la décision du Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye de créer une Direction des affaires religieuses et de l’insertion des diplômés arabophones pourrait faire avancer leur cause. «Cette décision vient conforter ce qu’on est en train de faire, a-t-il dit, tout en rappelant que l’arabe est la langue par laquelle Dieu a fait descendre le Coran.»
D’après le professeur Babacar Samb, le mal est plus profond que ça. Car, en dehors du fait que ces personnes, qui maîtrisent l’arabe et qui disposent de diplômes de haute valeur, ne soient pas prises dans les corps de métiers, il n’y a ni journal ni télévision en arabe dans le pays. «Un grand pays arabe a voulu développer un programme pour honorer un Sénégalais, ils ont demandé une structure en arabe, mais il n’y en avait pas», regrette le directeur de Dakar Sciences Po.
Selon le Pr Samb, ces arabisants n’ont pas appris l’arabe pour enseigner seulement la langue ou être imam. «Ils doivent être insérés dans tous les corps de métier, car on peut apprendre l’arabe pour être paysan, agronome, médecin, entre autres», appelle Pr Samb, exhortant les autorités du pays à orienter les bourses octroyées par les pays arabes dans ces domaines. «Quand les pays arabes donnent des bourses, qu’est-ce que les étudiants vont faire ? Ce ne sont pas des bourses orientées dans ces domaines. On leur donne des bourses pour aller au Caire, en Arabie Saoudite pour faire quoi. C’est le Sénégal qui doit dire que je veux des bourses dans des domaines comme l’agriculture, le pétrole. II y a des arabisants qui, dans leur formation, peuvent être spécialisés dans des domaines de développement dans tous les secteurs», affirme-t-il.
Ne voulant plus que l’insertion des arabisants soit une affaire de politique politicienne, les acteurs invitent les autorités à se pencher sur ces maux, à aider les arabophones à développer des journaux, des radios en arabe et à les initier dans le domaine du numérique. Dans la même veine, ils demandent aussi à l’Etat de créer une université arabophone. «L’Etat est encore interpellé. Quand on a créé le baccalauréat arabe généralisé, c’est une bombe. Si nous avons tous les arabisants qui veulent aller à l’université, ils ne peuvent aller qu’au département arabe. Chaque année, il y a près de 1000 personnes qui sont bacheliers et ne peuvent aller qu’au département arabe. On ne peut pas insérer tout le monde dans l’enseignement. Il faut une université arabophone comme l’a fait le Tchad qui a deux systèmes. Le système francophone, qui va aller jusqu’au doctorat, et le système arabe qui va aussi jusqu’au doctorat. Tant qu’on n’a pas créé une université pour des arabophones, on n’a encore rien fait. Ce sera une université où on enseignera l’agronomie, l’agriculture. Ce qui fait qu’on est des arabisants», souligne Pr Babacar Samb. D’après lui, on a besoin de toutes les spécialités et de tous les corps de métiers. Mais malheureusement, le Sénégal a encore un système d’enseignement et de formation obsolète, copié sur le modèle français. Mais en attendant que leurs requêtes soient prises en compte, les arabisants comptent mettre en place un dispositif national et international qui va prendre en compte cette problématique.
Il faut rappeler que le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a annoncé, lors de la 61e édition de la ziarra annuelle de la Famille omarienne de Louga, sa volonté d’élever la Direction des affaires religieuses et de l’insertion des diplômés en langue arabe au rang d’une Délégation des affaires religieuses et des cultes pour mieux institutionnaliser les relations entre l’Etat et la religion. «Des mesures seront prises dans ce sens pour renforcer la Direction des affaires religieuses, en vue de l’élever au rang de Délégation des affaires religieuses et des cultes, mais aussi pour mieux accompagner les daaras», a dit le Président Faye. Il a expliqué que «cette institutionnalisation des relations entre l’Etat et la religion est une étape essentielle pour préserver l’exception sénégalaise et garantir la régulation sociale», avant de réaffirmer «l’engagement de l’Etat à renforcer ses liens avec les foyers religieux du pays».
justin@lequotidien.sn