Mbour – Promotion de la santé communautaire : Les acteurs lancent un appel à la reconnaissance

Essentiels dans la pyramide sanitaire, les acteurs de la santé communautaire ont un statut précaire ou flou. Ils espèrent une reconnaissance à la hauteur de leur importance dans notre système médical.Par Alioune Badara CISS –
Le Réseau national des acteurs communautaires (Rnac), une entité essentielle dans le système de santé, est souvent sous-estimé. La célébration aujourd’hui de la première Journée de l’acteur communautaire, ce 17 juin au Cices, vise a montré l’engagement indéfectible de plus de 50 mille badiénou gox, relais, agents de santé communautaire (Asc), matrones, Distributeurs de soins à domicile (Dsdom) et les praticiens de la médecine traditionnelle, tous reconnus par le ministère de la Santé. El Hadji Baytir Samba, président du Rnac, a exprimé une «fierté» et une «grande émotion» face à cette reconnaissance tardive mais essentielle, soulignant que ces acteurs sont en première ligne depuis plus de 40 ans, bien avant l’élaboration du plan stratégique de santé communautaire en 2015.
Il se réjouit aujourd’hui que les acteurs communautaires soient le pilier invisible de la santé publique au Sénégal, intervenant là où l’Etat ne peut pas toujours atteindre. «Ils opèrent dans des zones souvent difficiles d’accès, comblant des lacunes criantes en matière d’infrastructures sanitaires. Leur spectre d’action est vaste et diversifié : de l’assistance à l’accouchement pour réduire la mortalité maternelle et infantile à domicile, à la vaccination, la nutrition, la dispensation de soins à domicile pour des affections comme la diarrhée et les infections respiratoires aiguës, et même le dépistage de maladies chroniques telles que le diabète, l’hypertension et le Vih. Aujourd’hui, c’est comme si on nous a confié des compétences, mais sans des aspects juridiques», déplore El Hadji Baytir Samba. Il a également mis en évidence le manque de protection légale face à d’éventuelles erreurs techniques.
Malgré leur contribution non moins importante, les acteurs communautaires souffrent d’un manque criant de reconnaissance et de motivation, notamment financière. «Si cette personne n’a pas de rémunération, elle va chercher de quoi manger, elle a de la famille, on risque d’avoir des mortalités. Ce sont 50% des ressources humaines de la santé qui sont considérés comme des bénévoles, sans couverture sanitaire ni prise en charge en cas de maladie. Cette précarité menace la continuité et l’efficacité de leurs interventions», déplore M. Samba.
Le président du Rnac lance un appel vibrant aux plus hautes autorités de l’Etat, y compris le président de la République et le Premier ministre, pour une «prise en charge» et une «motivation» des acteurs communautaires. Il insiste sur la nécessité de «revoir leur statut» et de les encadrer juridiquement, afin qu’ils puissent pleinement contribuer au développement sanitaire du pays. «Ce statut juridique est essentiel pour protéger ces travailleurs de première ligne, et reconnaître officiellement leurs compétences et responsabilités», préconise le président du réseau.
A en croire Baytir Samba, l’impact des acteurs communautaires va bien au-delà de la simple prestation de soins. Leur action a des retombées économiques significatives, souvent sous-estimées. «En investissant sur la prévention, on gagne 10 sur l’investissement», affirme El Hadji Baytir Samba, citant l’exemple des campagnes de distribution de Moustiquaires imprégnées (Milda) où les acteurs communautaires ont joué un rôle-clé dans le recensement, la distribution et le suivi, évitant ainsi des pertes de milliards à l’Etat. De même, leur rôle dans la référence des cas de tuberculose, coûtant 25 000 F Cfa par cas simple et jusqu’à 1,5 million F Cfa pour les multirésistances, représente des économies substantielles pour le système de santé.
Il brandit comme autres preuves leur contribution dans la lutte contre la pandémie du Covid-19. «Alors que d’autres corps de métiers étaient rémunérés, les acteurs communautaires ont travaillé bénévolement pour promouvoir la vaccination et déconstruire les rumeurs et la résistance des populations face aux vaccins. Leur rôle de la sensibilisation à la prévention des maladies non transmissibles liées à la malbouffe et aux défis environnementaux, ainsi que leur implication dans l’identification des enfants pour l’état civil, démontre leur polyvalence et leur importance dans des domaines allant au-delà de la santé purement curative.»
Statut à avoir…
Toutefois, il rappelle aussi qu’un défi majeur réside dans le manque d’alignement des programmes au sein du ministère de la Santé, où «chaque programme dit que moi j’ai mes acteurs communautaires. Cette fragmentation crée une confusion et affaiblit l’efficacité globale des interventions. La conséquence, c’est que les communautés sont en train de souffrir parce que les différents programmes semblent plus intéressés par la propriété de leurs acteurs que par la santé des populations», regrette M. Samba. C’est pourquoi le Rnac appelle à une unité des programmes et à un alignement autour des politiques et normes de la santé communautaire. «Il est impératif de renforcer les équipes dans leur ensemble plutôt que de laisser chaque entité fonctionner en solo. Les acteurs communautaires, formés à faire face aux crises liées aux inondations et aux changements climatiques, ont besoin d’être davantage formés sur les autres déterminants de la santé, y compris les questions sociales, la protection sociale et les défis liés au transport routier», suggère le président du Rnac.
En vue de la Journée de l’acteur communautaire, 79 agents représentant chaque district du Sénégal seront récompensés au Cices. Ce geste symbolique vise à «valoriser l’acteur communautaire et créer un cadre d’échange pour résoudre les problèmes existants». «Nous ne sommes pas des ennemis, et nous sommes venus pour apporter nos contributions», ajoute-t-il.
Il exhorte l’Etat à investir de manière plus vaste dans ceux qui «réduisent les souffrances des communautés», en renforçant leurs connaissances, en assurant leur suivi et leur accompagnement, et surtout en les «motivant» financièrement et en leur offrant un statut juridique. «La pérennité du système de santé sénégalais dépend intrinsèquement de la reconnaissance et du soutien accordés à ces héros du quotidien», rappelle Baytir Samb.
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