Marié à 7 femmes, père de plusieurs enfantas, Cheikh Béthio Thioune a été condamné à 10 ans de travaux forcés par la chambre criminelle Tribunal de grande instance de Mbour. A 80 ans, il est dans les sombres abysses après avoir tutoyé les étoiles.
Il vivait trop près du soleil et s’est longtemps cru intouchable. Pour non-dénonciation de crimes, Cheikh Béthio Thioune a été condamné hier à 10 ans de travaux forcés par la Chambre criminelle du Tribunal de grande instance de Mbour. A 80 ans, le guide religieux voit sa vie basculer dans les abysses. Après qu’elle a touché son Everest. Chef d’une entreprise florissante (les thiantacounes), M. Thioune a toujours eu cette attention extrême portée tant à ceux qui l’entourent qu’à ses propres fantasmagories, le laissant étourdi et émerveillé par sa propre personnalité. Où se trouve la frontière entre le réel et l’imaginaire ? Entre sa vie et celle de ses talibés ?
Si, ces dernières années, il est au bord de l’effondrement, on a supposé un homme exceptionnel, une divinité en chair fraiche, un puits de dévotion sans fond pour ses disciples, un leader aussi crédible que son marabout mais aussi un Cheikh sans frontières (11 millions de talibés) et surtout un bienfaiteur invétéré. Avec une amusante propension à l’exhibitionnisme. On se souvient de ses séances publiques de Thiant teintées de provocation gothique et de scarifications personnalisées et transformées en show aguichant. L’homme, comme investi d’une mission, est devenu une messe courue par les jeunes.
Face au Béthio d’aujourd’hui, tout se complique : car, il ne cesse de couvrir de boue l’idole qu’il «fut» pour ses (ex) disciples avec ces actes indicibles. Longtemps, il a été un prophète du profane et le Cheikh d’affirmation d’une jeunesse-désespoir. A ce jeu, il a été leur guide suprême pendant plusieurs décennies. Lui aussi a été rattrapé par le côté pervers du pouvoir. Grisé par son aura et son succès, Béthio Thioune contemplait son monde avec mépris et arrogance. Ecartelé entre ses aspirations religieuses, financières et politiques, l’ex-«souverain de Mermoz et de Médinatoul Salam» a chuté de son olympe. De façon tragique. Comme Jekyll ? Fasciné par son pouvoir, sa propre personnalité incarnait pourtant depuis quelques années un succès répugnant. Ces dernières années, Béthio Thioune est devenu un ambivalent, tenté par le bien et le mal : attaques contre les convois des hommes politiques, provocation électorale, religieuse et confrérique, mariages sans consentement parental, scènes de meurtre dans ses propres locaux. Est-il le dieu et le diable ? Il n’aime que les extrêmes et l’intensité qui déchirent. On a longtemps cru que Cheikh Béthio Thioune est une existence sans désaccords. Béthio s’est étalé totalement dans la rue. Une chute aussi spectaculaire que sa notoriété !
Grandeur et décadence
L’histoire est aussi faite de coïncidences. Cette affaire de Médinatoul Salam le rattrape alors qu’il s’était investi dans la campagne de Me Wade. Béthio, qui revendiquait 5 millions de talibés, engagés pour la réélection du Président sortant de 2012, remarquera que sa réputation est surfaite après la défaite de son candidat. Cela sera accompagné par l’érosion de son aura et de sa réputation. Tout s’écroule le 22 avril 2012. Bara Sow, 37 ans et Ababacar Diagne, 40 ans, sont tués de manière abominable à Médinatoul Salam, où il étalait sa toute sa puissance.
Fini tout ça ! Le bouillant guide des thiantacounes est ramené à sa position de simple citoyen, de simple justiciable qu’on expédie en prison sans tambours ni trompettes. Les chefs d’inculpation sont lourds : complicité d’homicide, recel et inhumation de cadavres sans autorisation, détention d’armes sans autorisation et association de malfaiteurs. Exit le puissant guide religieux. Depuis 7 ans, M. Thioune vivait dans un sursis permanent, après avoir réussi à saboter son miracle de ses propres mains. A ses pieds est inscrite désormais une date historique : 6 mai 2019. Le jour où il a été condamné aux travaux forcés avoir été reconnu coupable de non-dénonciation de crimes.
Il ne devait pas ignorer les risques. Administrateur civil de classe exceptionnelle, M. Thioune est un énarque à la retraite. Il a servi dans la haute administration avant d’étrenner son titre de Cheikh en 1987. Mais l’empreinte de M. Thioune se retrouvera bien au-delà de sa vie de fonctionnaire. Il atteint l’Everest dans ses nouveaux habits de guide religieux sans formation coranique. Chambellan de Serigne Saliou Mbacké, cinquième khalife général des mourides, décédé en 2007, qu’il côtoyait à l’âge de 8 ans, Thioune a réussi sa reconversion grâce à cette proximité. Elle lui a apporté la respectabilité et l’influence dans le monde politico-religieux. Son succès l’a installé comme une figure du paysage religieux vénéré et comparé aux hommes sanctifiés du Mouridisme. A la barre du Tgi de Mbour, Adja Déthié Pène, sa septième épouse, a dit que «Cheikh Béthio est Serigne Touba». Grosse provocation ? «J’ai eu mal quand j’ai entendu l’une des épouses de Cheikh Béthio Thioune dire que Cheikh Béthio, c’est Cheikh Ahmadou Bamba. J’ai dit que là, c’est aller trop. Cheikh Béthio n’est pas Cheikh Ahmadou Bamba et Cheikh Ahmadou Bamba n’est pas Cheikh Béthio. Cheikh Ahmadou Bamba était à un autre degré beaucoup plus élevé, beaucoup plus spirituel. Dire que Cheikh Béthio est Serigne Touba, c’est une offense à la communauté mouride, c’est un manque de respect, c’est une offense à Cheikh Ahmadou Bamba, qui n’est pas Cheikh Béthio Thioune, quel que soit le respect et la considération que j’ai pour lui. Cheikh Béthio Thioune ne peut pas être Cheikh Ahmadou Bamba et Cheikh Ahmadou Bamba ne peut pas être Cheikh Béthio», réplique Me Khassimou Touré.
Jugé par contumace, Cheikh Béthio est sans doute en train d’échafauder un plan pour sortir de cette galère judiciaire, après avoir longtemps carburé pour les honneurs de la vie quotidienne, la propension à profiter de ses opportunités les plus ordinaires jusqu’à en être aviné. Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne.
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