Après l’adresse du Président Macky Sall à la Nation le samedi dernier, la Cedeao, à travers sa commission, a publié un communiqué dans lequel elle, je cite, «prend note de la décision prise par les autorités sénégalaises de repousser l’élection présidentielle prévue pour le 25 février 2024». Plus loin, l’organisation communautaire «en appelle aux autorités compétentes d’entreprendre les différents processus afin de fixer une nouvelle date pour les élections. La commission demande par ailleurs à toute la classe politique de privilégier le dialogue et la collaboration pour une élection transparente, inclusive et libre». La seule condamnation qui ressort de ce communiqué est celle qui «exprime son inquiétude quant aux circonstances qui ont conduit au report de l’élection». Quant au Président Macky Sall, toutes louanges lui sont rendues pour «avoir réaffirmé sa décision ancienne de ne pas se représenter pour un autre mandat». On l’encourage même à continuer «à défendre et protéger la vieille tradition démocratique du Sénégal».
A la suite de l’organisation communautaire, la Commission européenne a, de son côté, sorti une déclaration disant soutenir «la position exprimée par la Cedeao et appelle tous les acteurs à œuvrer, dans un climat apaisé, à la tenue d’une élection transparente, inclusive et crédible, dans les meilleurs délais et dans le respect de l’Etat de Droit, afin de préserver la longue tradition de stabilité et de démocratie au Sénégal».
Ces interventions viennent en contrepoint de ces mots du dirigeant burkinabè, le Capitaine Ibrahim Traoré, répondant à un journaliste : «Il y a des putschistes militaires au sein de la Cedeao qui, aujourd’hui, se réclament démocrates. Des putschistes civils, il y en a. Il y a pire que des putschistes. Il y en a qui tuent, qui bâillonnent leurs peuples sous le silence.» On aurait été bien à l’aise pour réfuter cette sortie si elle avait été faite quelques jours plus tôt. Mais tous les démocrates de ce pays sont mal à l’aise pour défendre ce qu’ils ne s’expliquent pas. Il y a moins d’une semaine, à la suite de la décision des trois dirigeants putschistes du Mali, du Burkina et du Niger, de sortir de la Cedeao, nous avions publié un article pour indiquer que notre organisation communautaire avait suffisamment d’atouts pour être encore assez attractive.
Or, en ne condamnant pas la décision du Président Sall, les dirigeants de la communauté ne rendent pas service à leurs peuples, et surtout, creusent encore plus profondément le fossé qui va enterrer l’organisation. Ils auraient été bien inspirés de rappeler ne serait-ce que par principe, que le report de l’élection se fait en violation d’un texte fondamental de la Cedeao, à savoir les alinéas 1 et 2 de l’art. 2 du Protocole A/SP1/12/01 additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Ces textes stipulent : «1. Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques. 2. Les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates ou périodes fixées par la Constitution ou les lois électorales.» La faiblesse de rappeler les textes fondamentaux qui la fondent, donne de la force aux arguments des ennemis de la Cedeao et affaiblit ses soutiens dans tous les pays.
Macky Sall aura beau avoir le meilleur bilan matériel à présenter dans ses efforts pour l’émergence de son pays, rien ne peut excuser le fait de violer impunément la loi. Même dans l’idée de corriger l’erreur d’une autre institution. La volonté des militaires algériens d’écarter le Front islamique du salut (Fis) du pouvoir, au cours d’une élection que ce parti était parti pour gagner largement, a plongé l’Algérie dans une décennie de morts et de tragédies dont certains de ses voisins continuent de payer aujourd’hui le prix. Personne au Sénégal ne souhaiterait nous voir arriver à ce point.
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