La perception selon laquelle, il y a un recours systématique aux mandats de dépôt  sera au cœur des échanges de la conférence annuelle des chefs de parquet qui s’est ouverte hier. Lors de la cérémonie d’ouverture de cette rencontre, le ministre de la Justice a rappelé que le Sénégal a un système bâti autour de la présomption d’innocence,  donc le principe doit être la liberté et la détention l’exception. Par conséquent, il a invité les procureurs à réfléchir sur les pratiques procédurales pour «confiner la détention au strict nécessaire».

Les chefs de Parquet se sont penchés sur la question de la détention provisoire. En conclave dans le cadre de leur conférence annuelle, les chefs de Parquet vont discuter de la perception selon laquelle «il y aurait un recours fréquent à la détention provisoire». Hier, lors de l’ouverture de cette conférence, le ministre de la Justice, Garde des sceaux, a fait savoir que nos prisons sont «surpeuplées surtout de personnes en attente de jugement». Certes Ismaïla Madior Fall reconnait que l’équation du surpeuplement de la population carcérale interpelle «aussi notre retard en termes d’infrastructures pénitentiaires pour une population pénale qui peut augmenter proportionnellement à notre population en général ». Mais pour lui, «nous avons néanmoins le devoir de jeter un regard sans complaisance sur nos pratiques procédurales». «Un seul cas de détention injustifiée serait un cas de trop. Et il n’est pas sain que la population des détenus provisoires soit très importante par rapport à celle des condamnés purgeant une peine de prison. L’emprisonnement sera toujours associé à l’idée de sanction. Il faut conformer cet état d’esprit qui n’est pas dépourvu de bon sens, à nos pratiques», a-t-il indiqué. Ainsi dans les débats, il demande aux chefs de Parquet de s’interroger sur «comment confiner la détention au strict nécessaire».  A ce propos, le directeur des Affaires criminelles et des grâces, Mandiaye Niang informe qu’au niveau national on parle d’une moyenne nationale de 83%. Ce qui veut dire selon lui, «sur  les 100 personnes  déférées auprès du procureur il y en a 83 qui se retrouvent en détention et seuls 17% bénéficient d’une mesure de mise en liberté provisoire, d’un classement sans suite ou d’une médiation pénale». Ces chiffres font dire au ministre de la Justice que «nous pouvons aisément constater dans la pratique des parquets le recours fréquent au mandat de dépôt lors des interrogatoires de flagrants délits».

La plaidoirie de Ismaila Madior Fall
Parlant des dossiers d’instruction, M. Fall souligne que «les réquisitions aux fins de placement sous mandat de dépôt ou de refus de mise en liberté provisoire, suivies d’appel en cas d’ordonnance contraire, ont tendance à devenir la règle». Il a ainsi rappelé que le mandat de dépôt «ne devrait être un instrument entre les mains de l’autorité de poursuite pour infliger une sanction anticipatrice au prévenu qui de par la volonté du législateur, est présumé innocent jusqu’à sa culpabilité ait été légalement établie devant les tribunaux et les cours de justice compétents, à l’issue d’un procès juste et équitable». Partant de ce fait, il a invité les procureurs «à penser une nouvelle forme d’exercice de l’action publique qui, tout en sacralisant l’autorité de l’Etat, doit procéder à de nouvelles stratégies de poursuite alliant le triptyque légalité-efficacité-humanisme».
Revenant sur les statistiques de la détention, le directeur des Affaires criminelles et des grâces précise que «le  chiffre ne dit pas tout parce qu’il y a des critères» qui expliquent  cette mise en détention. Selon Mandiaye Niang, il y a «toute une série de considérations qui peuvent justifier la détention». Il reconnait toutefois que «les chiffres sont quand même alarmants». «Les procureurs qui vont se réunir vont se poser la question est-ce que c’est trop, est-ce qu’il y a des mesures alternatives qui peuvent être envisagées qui permettront au procureur de concilier la nécessité de juger une personne tout en la laissant bénéficier de la liberté provisoire», a-t-il dit.

Réflexions pour déceler les goulots d’étranglement
Conscient du travail qui doit aussi être fait au niveau central, Ismaïla Madior Fall informe que «des réflexions sont en cours en vue de déceler les goulots d’étranglement et d’identifier les bonnes pratiques en matière d’exercice de l’action publique pour l’application des peines ainsi que les palliatifs aux recours fréquents aux mandats de dépôt». Entre autres solutions envisagées, il y a «la mise en place des organes de l’aménagement des peines et l’effectivité de la mise en œuvre des modes d’aménagement des peines, l’amélioration des procédures de délaissement des convocations et citations en vue de mettre un terme aux renvois répétés». A cela, le ministre de la Justice ajoute «l’institution des permanences au niveau des parquets, des cabinets d’instruction et des audiences de flagrants délits, la célérité dans la rédaction des rapports d’appel, voire la suppression pure et simple de cette formalité dont la valeur ajoutée réelle dans la conduite du procès est discutable».
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